POLITIQUE INTERNATIONALE

Livraison de terroristes contre libération d’otages : « Ce traité est une menace pour la sécurité des Belges »

Assadolah Assadi et ses trois complices. Crédit: Facebook

Le 29 juin, un projet de loi a été déposé à la Chambre. Il porte assentiment de cinq traités internationaux, dont le Traité entre la Belgique et l’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées du 11 mars 2022. Cet instrument est censé « favoriser le renforcement d’une politique étrangère forte qui permet de lutter contre la criminalité transfrontalière, notamment le terrorisme, la drogue, le trafic d’armes et la traite d’êtres humains (…). Cela concerne différentes composantes de la coopération internationale pénale, à savoir l’entraide judiciaire, le transfèrement des personnes condamnées et l’extradition », peut-on lire dans le préambule. Spécialiste du renseignement, ex-agent de la DGSE et cofondateur de l’ESISC, une société de consultance en affaires stratégiques, Claude Moniquet a été expert des parties civiles dans le procès historique qui a, pour la première fois, condamné en Belgique, un diplomate iranien, Assadollah Assadi, et ses complices pour des préparations d’attentat terroriste. Malgré les intenses pressions de Téhéran, la justice belge a fait son travail en toute indépendance. Il nous livre son analyse sur le principe contesté de l’échange. Le texte est, à juste titre, l’objet d’opposition. Une manifestation est d’ailleurs prévue ce mardi matin à 8h devant le parlement où une commission va se pencher sur le traité d’entraide judiciaire.

Dans les pages 74 et 75 du projet de loi que nous avons pu consulter, le conseil d’Etat a remis un avis favorable sur le texte le 3 juin 2022. Il demande, toutefois, de nuancer dans les termes le texte final. Nous citons : « Dans le texte néerlandais, l’intitulé et l’article 4 de la loi d’assentiment font référence à l’ ‘Overeenkomst’ (accord) entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’extradition, fait à Abu Dhabi le 9 décembre 2021. Il s’agit toutefois du ‘Verdrag’ (convention) entre le Royaume de Belgique et les Émirats arabes unis sur l’extradition qui a été signé le 9 décembre 2021 ». Et de préciser : « Dans le texte néerlandais de l’intitulé et de l’article 6, mieux vaudrait faire référence au ‘Europees Verdrag inzake de overbrenging van gevonniste personen’ (Convention européenne sur le transfèrement des personnes condamnées ». Le Conseil d’Etat reconnaît donc implicitement le principe de l’échange. On fait le point.

L-Post, Vous étiez expert des parties civiles dans ce procès. Pourquoi fait-il figure d’exception ?

L’expertise n’avait rien de particulièrement complexe tant le dossier pesait lourd. Aveux de deux des complices d’Assadi, interceptions de  conversations téléphoniques et de courriels, photographies et films de la remise de la bombe aux agents par Assadi, antécédents de ce dernier, un officier chevronné du MOIS (Ministère du Renseignement de la République islamique d’Iran, ndlr) et spécialiste des explosifs. Rien ne manquait pour en faire un cas d’école. Ce qui était exceptionnel, en revanche, c’est que c’était la première fois qu’un diplomate iranien était pris en flagrant délit de préparation d’un acte terroriste sur le sol européen. Grâce à cette arrestation, on a pu retracer une chaine de responsabilité qui remontait jusqu’au Conseil Suprême de Sécurité Nationale d’Iran, c’est-à-dire jusqu’au sommet du pouvoir, puisque y siègent des représentants du Guide suprême de la Révolution islamique, du Président de la république et des principaux ministères.

Le Gouvernement belge crache sur le travail exemplaire du parquet et des enquêteurs et fait fi de ce qu’ont dit les juges en première et en deuxième instances.

L-Post : Que pensez-vous de ce projet de loi qui sera discuté cette semaine ?

 C’est une véritable honte. Le Gouvernement belge crache sur le travail exemplaire du parquet et des enquêteurs et fait fi de ce qu’ont dit les juges en première et en deuxième instances. La Belgique introduit subrepticement ce Traité entre le Royaume de Belgique et la République islamique d’Iran sur le transfèrement de personnes condamnées, et en plus  dans l’urgence. Il le fait en plein été, juste avant les vacances parlementaires et en cachant, de plus, ce texte au milieu d’un paquet législatif. La loi, qui permettra de renvoyer dans leur pays Assadollah Assadi et ses trois complices, autorise de surcroît, l’Iran à libérer, gracier ou amnistier ces prisonniers. Face au chantage Iranien, Bruxelles s’apprête à capituler de A à Z.

Claude Moniquet, ex-agent des renseignements français, experts des parties civiles dans le procès contre les terroristes à la solde de l’Iran. Crédit: Belga.

L-Post : Comment expliquez-vous ce revirement, alors que la justice, elle, a fait preuve de courage et d’indépendance ?

 J’y vois trois raisons. La première, c’est que, vous ne l’ignorez pas, se déroulent, à Vienne, des négociations sur la reprise des accords visant à contrôler les activités nucléaires de Téhéran et que, dans ce contexte, on veut faire plaisir aux mollahs. La seconde, c’est que l’Europe, qui a décidé de se priver du gaz et du pétrole russe, se cherche de nouveaux fournisseurs et que l’Iran a des réserves considérables d’hydrocarbures. Mais franchement, comment peut-on, au nom des principes démocratiques, arrêter d’acheter à la Russie pour le faire à l’Iran qui est un pays qui viole les droits de l’homme en permanence et exécute des centaines de personnes par an sous des motifs les plus futiles, tout en organisant des attentats sur notre sol ? La troisième raison est plus sinistre. Le régime iranien s’est constitué, depuis l’arrestation d’Assadi, une véritable réserve d’otages en arrêtant des doubles nationaux – comme la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkah poursuivie pour « complot contre la sûreté de l’Etat » ou l’Irano-suédois Ahmadreza Djalali, qui enseigne la médecine d’urgence à Bruxelles, condamné à mort pour espionnage – ou même des Européens n’ayant aucun lien avec l’Iran, comme le Français Benjamin Brière, condamné à plus de huit ans de prison pour « espionnage », ou plus récemment un couple de syndicalistes, Cécile Kohler et Chuck Paris, accusés d’être entré dans le pays pour y « répandre le désordre ». Et là, c’est du donnant-donnant : « rendez-nous Assadi et nous libérons vos ressortissants. Et malheureusement, on le voit, le chantage paie…

L-Post : Obtenir la libération de prisonniers en Iran ne justifie-t-il pas cet accord ?

 De mon point de vue, certainement pas, car il n’est jamais payant de céder au chantage. Cela ne fait que pousser le maître-chanteur à récidiver. Si le projet de loi est voté et conduit à la remise d’Assadi à ses maîtres de Téhéran, demain, l’Iran continuera à pratiquer le terrorisme en Europe et prendra de nouveaux otages pour faire pression sur nous. Ce traité n’est pas seulement une véritable infamie, il envoie de surcroît un dangereux signal.  C’est un cercle vicieux, un engrenage sans fin, qui, en réalité, mettra les ressortissants européens en danger permanent.

Si le projet de loi est voté et conduit à la remise d’Assadi à ses maîtres de Téhéran, demain, l’Iran continuera à pratiquer le terrorisme en Europe et prendra de nouveaux otages pour faire pression sur nous.

L-Post : Quelle est la solution ?

Plutôt que de céder à la pression, il existe une autre voie : le procès d’Anvers a prouvé, bien au-delà de la simple suspicion, que plusieurs ambassades d’Iran, et donc le ministère des Affaires étrangères lui-même, avaient participé à un complot terroriste sur le sol européen. La réponse la plus simple et la plus logique serait donc de rompre les relations diplomatiques avec l’Iran et de fermer ses ambassades en Europe. L’expérience montre, depuis 40 ans, que Téhéran ne recule jamais que face à la force. La fermeté paie. La faiblesse, elle, ne fait qu’encourager les assassins. Mais pour cela, il faut du courage. Et l’Europe, manifestement, en manque.

Rappelons que l’Iran pratique le terrorisme d’Etat en Europe, et ailleurs dans le monde, depuis plus de 40 ans. En France, en témoignent, entre autres, les attentats des années quatre-vingt, l’affaire des « otages du Liban » à la même époque ou encore l’assassinat de Chapour Bakhtiar, dernier Premier ministre du Shah, eu août 1991. Les services iraniens et leurs complices ont tué en Allemagne, en Autriche, dans les pays nordiques et même jusqu’en Amérique du Sud. Leurs cibles privilégiées sont l’opposition à leurs lois, essentiellement les Moudjahidin du peuple, mais aussi des Kurdes et des dirigeants de mouvements de la minorité arabe et les juifs.