CULTURE

Création en plein air : Elliot Jenicot dans « Le facteur cheval ou le rêve d’un fou »

Elliot Jenicot (à gauche sur la photo) interviewé par Hervé Meillon. D.R.

Qui ne se souvient pas des « Frères Taquins », ce duo d’automates qui se sont produits de 1988 à 1992 partout dans le monde ? Depuis leur séparation, Elliot Jenicot (60 ans) poursuit sa carrière en solo en se baladant dans des univers artistiques très différents, d’abord en tant que clown et puis, comme mime. Mais voilà qu’il se trouve embarqué dans la folie d’un spectacle en remplacement du comédien Pierre Pigeolet pour jouer à Avignon. Il a eu trois semaines pour mémoriser un texte ardu et poétique sur la vie du « Facteur Ferdinand Cheval », une pièce inspirée d’une histoire vraie et adaptée d’après le livre de Nadine Monfils par l’autrice, elle-même. Le livre de Nadine Monfils est quelque peu romancé, mais qu’importe l’histoire relate le rêve d’un fou que la mort poursuivra toute sa vie. Ferdinand Cheval perdra des êtres proches et l’éternité devient pour lui une obsession. Exerçant le métier de facteur à pied, il parcourt chaque jour une longue tournée de plus de 30 km.  Rencontre avec Elliot Jenicot, qui a travaillé sans relâche, plus de 15 heures par jour, pour incarner à sa façon le personnage. Il nous raconte l’aventure hors du commun d’une pièce qui a failli ne pas être jouée…

Joseph Ferdinand Cheval est facteur du XIXe siècle. À l’âge de 43 ans, il bute un jour sur une pierre. Il revient sur ses pas et la déterre, la contemple, la soulève, l’admire, la chérit. Cette pierre lui parle. Cette pierre l’envoute. Elle correspond à ses rêves et à ses méditations. Il décide alors de construire un palais tout seul pendant 33 ans pour « enterrer ses douleurs ». Chaque jour, après sa tournée, accompagné de son éternelle brouette, il retourne chercher des pierres pour bâtir ce qu’il appellera son Palais idéal. Il les amasse et édifie les prémisses de son œuvre. Il s’élève et élève sa forteresse. Les villageois parlent de lui en bien, mais aussi en termes peu réjouissants. Il inscrit des épitaphes et des légendes dont il inonde son palais. Il écrit lui-même une biographie officielle tenue dans son journal quotidien. En 1912, Ferdinand Cheval a 77 ans et déclare son palais terminé. 45 ans plus tard, en 1969, le ministre de la Culture André Malraux, après moultes controverses de cultureux ministériels, le Palais est déclaré monument historique. À Hauterives, son village situé dans le département français de la Drôme, de nombreux visiteurs vont toujours admirer l’œuvre de ce facteur du nom de Cheval. Pardonnez-moi d’avoir, peut-être, été aussi long, mais Ferdinand Cheval a été le héros de mon enfance tant ma mère m’en racontait les péripéties et le tenait comme un exemple de vie.

L-Post : En fait, Elliot vous vous êtes embarqué dans l’aventure de cette pièce un peu par hasard ?

Elliot Jenicot : Le metteur en scène de la pièce se nomme Alain Lempoel, magnifique comédien et aussi producteur. Nous avions déjà eu des projets ensemble. Un jour, il m’appelle pour me parler de nos projets, mais je sens bien qu’il a quelque chose à me demander ! Il m’explique qu’il est très embêté, car il doit monter une pièce pour le festival d’Avignon, mais que le comédien a un problème de santé qui l’empêche de jouer… Sans se plaindre, il me dit que tant pis, il va perdre sa co/production et qu’il essaiera de trouver une solution pour la jouer plus tard en Belgique… Mais très rapidement il me demande si je connais l’histoire du facteur Cheval… Je lui réponds que non et avec une diplomatie habile Alain Lempoel me propose de m’envoyer le texte. Nous sommes le 14 juin. J’étais en train de travailler sur un autre spectacle. J’accepte avec plaisir de lire, mais pas tout de suite  et là il insiste avec courtoisie pour que j’y jette un œil avant… Sans rien lui promettre, je lui fais comprendre que cela ne sera pas simple, mais que je vais essayer… Une heure après, j’avais sur mon ordinateur le texte que j’ai lu en un jet ! Soixante-sept pages que j’ai bouffées en trouvant cela superbe.

L-Post : Et alors, vous allez foncer et vous dites oui ?

Pas vraiment ! C’est vrai que je lui envoie un texto précisant que cela m’avait beaucoup plu, mais que je ne sais pas où, comment et quand le faire ? Oui, je lui dis que je pense qu’il faudra que je joue ce spectacle. Il me répond : le 7 juillet ! Je rétorque : 2023 ? Et lui : non 2022… Alain conclut : On se téléphone ! J’ai tenté de préciser : Mais tu te rends compte c’est dans 20 jours ? Lui se sentait satisfait et cérémonieux : Te sens-tu la force de relever ce défi ? Je me suis alors senti enchanté : Mais enfin, il y a 67 pages… Silence radio : je te donne la réponse ce soir ?

L-Post : Vous sentez à ce moment-là que votre décision est prise et que les vacances vont vous passer sous le nez ?

Tout à fait, nous avions prévu des vacances à la montagne en famille… vacances que nous annulons.

L-Post : Et vos autres spectacles ?

C’étaient des lectures que je devais animer. Je me suis fait remplacer assez facilement, mais j’avais un engagement pour le 30 juin et le 1er juillet pour jouer le spectacle sur Raymond Devos.

L-Post : Donc vous acceptez le défi en reprenant le rôle ? Mais pourquoi ?

Parce que je suis un peu dingue, on peut dire un peu inconscient, mais sincèrement le texte me touchait vraiment… Il se passait un truc et je n’ai pas essayé de comprendre… Mon inquiétude c’était la mémoire, car pour apprendre un texte pour le théâtre, il faut le vivre. Les 17, 18, 19, 20 juin, j’ai travaillé douze heures par jour. Je suis arrivé à Bruxelles le 21 juin et je connaissais les vingt-cinq premières pages !

 L-Post : Et la réaction d’Alain Lempoel ?

Ravi… Du 21 au 29 nous avons répété de 9h à 12h. J’étais en étude de 12h30 à 14h, puis je faisais des ‘italiennes‘ avec l’assistante, Mathilde Pigeolet, pour l’apprentissage du texte. Je répétais avec Alain de 14h à 19h, on mangeait et je reprenais de 21 à 23h. J’ai fait ça pendant neuf jours.

L-Post : Alain avait-il déjà toute la mise en scène ?

Il a adapté quelques petites choses par rapport à mon physique et moi j’ai changé ma voix en m’inspirant de mon grand-père.

 

Une adaptation qu’Elliot Jenicot interprète magnifiquement, avec une recherche vocale rocailleuse à souhait pour se glisser dans la peau du facteur Cheval, un homme hors du commun, mais certainement pas aussi naïf que la légende veut bien le laisser croire. Une mise en scène perspicace, simple, réaliste et originale signée par Alain Lempoel avec cette bonne idée d’avoir proposé l’image du facteur interprété en filigrane et dans une discrétion efficace par le plasticien Philippe Doutrelepont. Nadine Monfils signe généralement des livres trash. La pièce est adaptée de son livre romancé sur ce héros de la rude Provence et ce, avec une poésie et une finesse qui peuvent vous tirer les larmes. Dans le film de Nils Tavernier sorti en 2018 avec Jacques Gamblin, l’histoire est romancée elle aussi et a été tournée à Mirmande. Seules les scènes finales ont été tournées au Palais idéal à Hauterives.

Mais que diable où serait le rêve sans cela. J’ai du mal à ne pas citer Pierre Pigeolet qui a dû renoncer à interpréter ce rôle, et je sais qu’il y tenait. Heureusement sa fille Mathide, très présente, a fait un magnifique travail d’assistante et sans l’insistance de son talentueux père, nous aurions été privés de cette œuvre merveilleuse et magistrale. Voilà une belle réalisation de l’humain proposée par des Belges. Et la vie étant bien faite, les spectacles en attente s’enchainent pour Elliot Jenicot. En octobre prochain, il sera à l’affiche du VOOrire à Liège pour le centième anniversaire de la naissance de Devos. Une date à retenir.

Hervé Meillon