OPINION

Quelle belle jeunesse !

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A l’heure où le maintien du cours de religion catholique est régulièrement menacé, à l’heure où le nombre d’enseignant en cette matière ne court plus les rues, témoignage d’un prof passionné, et aux dires de ses étudiants, passionnant à plus d’un titre.

Depuis une trentaine d’années, je suis professeur de Religion Catholique dans le secondaire (licencié -master- en Sciences Religieuses et Agrégé de l’Enseignement Secondaire Supérieur UCLouvain), j’enseigne à l’Institut Sainte-Marie de Huy. Une grande école paisible car les professeurs, les éducateurs, les personnels de direction, d’entretien et d’administration ainsi que le PO y sont dévoués.  Quant aux parents, ils sont attentifs à la scolarité de leurs enfants.  En deux mots, tout le monde tire la charrette dans le même sens : aider les élèves à devenir des personnes bien dans leur tête, leur cœur et leur peau, bien dans leur vie.  L’indice socio-économique de l’établissement est très favorable.  Chaque année, je donne cours à 250 élèves : 5 classes de 2ème Commune ; 3 classes de 4ème Technique de Qualification Sciences Sociales ; 3 classes de 6ème Générale.  C’est de ce lieu précis que je partage le témoignage personnel qui suit.

Actuellement, mon cours de Religion est mieux reçu par les élèves qu’au début de ma carrière ou même qu’il y a 15 ans.         Certes, la culture chrétienne est maigrichonne. La Bible, la liturgie, l’éthique, l’enseignement et l’histoire de l’Église -ainsi que des autres confessions, religions et courants de pensée philosophique- sont méconnus. Mais l’Église « tribunal des consciences – mêle-tout – casse-pied – donneuse de leçons » est tout autant méconnue, elle est absente de la vie de l’immense majorité des jeunes.

Je remarque que cette double ignorance dégage un bel espace, un vide qui rend les élèves réceptifs aux questions et aux matières du cours.  Leur esprit et leur âme sont disponibles, ils ne sont pas saturés d’obligations et d’enseignements religieux. Certains adultes catholiques déplorent ce vide, craignant la perte de l’identité locale, pour ma part, je le vis comme une grâce des temps présents.  Cette vacuité est précieuse en elle-même.
Je viens de l’écrire, ce vide crée une curiosité à l’égard de la dimension spirituelle de l’humanité, de la vie, de l’Être même. Mais il y a là plus encore qu’une faim de connaissance à rassasier, car si la nature a horreur du vide, la grâce, elle, en a absolument besoin (Simone Weil).

Les idéologies et religions sont échouées au loin.  Dans ce chaos, que reste-il alors ?

Ce vide permet des rencontres vraies. Il rend possible la rencontre avec les autres, avec l’Autre, avec soi ! Ainsi, je commence chaque cours par un bref moment de recueillement -un bref moment d’éternité- se posant, se reposant en soi-même, en compagnie de Celui qui est au-delà de tout et au plus intime.  Cela se passe dans un climat de communion spirituelle, dans les deux sens du terme en français : avec attention à la transcendance et avec humour.  Honnêtement, c’était pour moi inimaginable à la fin du 2ème millénaire, mais en ce début de 3ème millénaire, c’est ce que je vis.  Je l’observe aussi lorsque je chante avec les élèves. Des chants de Taizé, des chants profanes issus du répertoire des veillées scoutes, des chants liturgiques, etc.   J’en suis moi-même surpris, mais ça va tout seul, de façon intuitive, naturelle, il y a une recherche commune d’accorder nos voix dans la bonne humeur.

Je ne suis ni payé par l’État ni envoyé en mission par l’Église pour faire l’étude scientifique de ce que je fais à l’école, mais pour le faire. Et le faisant, je constate, je ressens et je saisis, l’authentique ouverture des élèves à l’immensité fluctuante du réel, bien plus vaste que ce que nos cinq sens ou notre compréhension cérébrale nous en laissent percevoir.  Illustrons.

Il me semble que l’opposition croyants – incroyants n’est plus aussi déterminante qu’au XXème siècle.  Même les concepts de « recherche de sens », de « valeurs » sont poussiéreux, trop théoriques, secs, désincarnés, ils ne me paraissent plus satisfaisants pour rendre compte de ce que je constate en classe.
Comme nous, les adolescents vivent dans un monde où tout change vite, à tous les niveaux, sans cesse sommés de s’adapter. Ils savent l’instabilité généralisée, ils subissent le bruit envahissant.  Les idéologies et religions sont échouées au loin.  Dans ce chaos, que reste-il alors ? La qualité de la relation dans la rencontre, l’accueil du regard, la présence réelle l’un à l’autre. Être réellement présent… les lecteurs de cette revue comprennent la dimension anthropologique et théologique de l’expression.

Le cours de religion n’est pas un lieu de propagande catholique, mais un lieu de relations humaines

Je témoigne de la sensibilité des élèves à la qualité de l’attention, de l’écoute et de la parole du professeur, du contenu de son cours.  En cela, les programmes successifs de Religion Catholique ont vu juste depuis longtemps déjà : le cours n’est pas un lieu de propagande catholique, mais un lieu de relations humaines où le professeur partage quelques Lego religieux, spirituels, moraux, philosophiques, esthétiques que les élèves peuvent et pourront utiliser dans leur vie comme ils l’entendent, comme ils le peuvent.  Cet état d’esprit voulu par le programme est accordé à la mentalité des filles et garçons auxquels j’ai la chance d’enseigner.

Bien sûr, j’ignore la suite de l’histoire, mais il arrive de façon inattendue que certains cours culminent en « une sorte de liturgie pour époque sécularisée » !  Chacun étant le bienvenu, tel qu’il est, là où il est sur son chemin, avec ses questions et ses convictions, sa fatigue et son feu, chacun se sentant membre d’un corps qui nous intègre tous… le cours prend alors des airs de « recherche-célébration » sérieuse et rigolote : accueil de la Beauté qui se donne, de la Bonne Nouvelle qui secoue les cœurs et stimule les esprits, qui relève, qui met en mouvement, qui anime la réflexion et la créativité, qui développe la compréhension, la liberté, l’entraide, le pardon, la force dans l’engagement et la tendresse dans l’accueil. Quel bonheur !

Depuis des années déjà, je suis comblé d’apporter ma contribution au développement spirituel de quelques milliers de jeunes, pour moi, c’est un bain de jouvence… qui a même un impact positif sur mon état de santé. Quand je pense à mes élèves ou à d’autres jeunes que la vie me donne de rencontrer, je suis enthousiaste quant à l’avenir de l’humanité… elle nous réserve encore de très belles surprises ! Nous ne sommes qu’au début du monde !

Pierre XHONNEUX
De Huy