OPINION

Le régime iranien peut-il réprimer le soulèvement et continuer à survivre ?

Des manifestants brandissent des images et des pancartes lors d'un rassemblement de soutien aux manifestations en Iran, place de la République à Paris, le 29 octobre 2022. L'Iranienne Mahsa Amini, 22 ans, est décédée en garde à vue le 16 septembre 2022, trois jours après son arrestation par la tristement célèbre police des mœurs de Téhéran. AFP

Après avoir reçu à l’Elysée quatre femmes iraniennes dans le cadre d’une matinale spéciale de France Inter en soutien aux manifestations en Iran, le chef de l’état, a lâché une petite bombe lors d’une interview : « Les petits-enfants de la révolution islamique sont en train d’avaler cette révolution et de commencer leur propre révolution… » Il ne s’agit plus de simples émeutes spontanées, mais bien d’une révolution reconnue par le président de la république française lui-même.

Il faut dire que malgré une répression des plus brutale et cruelle, le régime iranien n’a pas été en mesure de contrôler un soulèvement qui dure maintenant depuis 2 mois ! Ce qui a fait dire à M ; Tadjik, ancien diplomate du régime, que « la société [avait] dépassé le stade de la peur pour entrer dans le stade de la violence. » Différentes analyses fleurissent ici et là, selon les financeurs. Pour certains, la théocratie n’aurait pas la capacité à réprimer plus durement le mouvement qui jure sa perte. Pour d’autres, les mollahs sont piégés, au fond d’une impasse. Réprimer plus, c’est risquer de voir l’agressivité des manifestants décupler. Réprimer moins, c’est presque déjà s’avouer vaincu.

Le fait est que les unités de résistance, soutenues et formées par les Moudjahidines du peuple, gèrent parfaitement la situation sur le terrain et que toutes les attentions internationales sont focalisées sur la révolution en cours. Cette surveillance accrue, qui plus est à la veille d’une coupe du monde qui verra l’Iran affronter à la fois l’Angleterre et les États-Unis, interdit sans aucun doute aux mollahs d’user de la terreur de manière trop visible. De surcroît, les forces répressives s’affaiblissent et finissent par coûter très cher à une économie déjà exsangue.

L’impasse !

Le guide suprême iranien, Ali Khamenei, ne peut plus faire machine arrière. Le moindre pas de recul, qu’il s’agisse du port obligatoire du Hijab ou de l’intensité de la répression serait désormais interprété comme une faiblesse et ferait voler le régime en éclat de l’intérieur. D’un autre côté, le maintien d’une répression absolue, visant essentiellement les femmes, accroît la colère et la détermination du peuple. En 2019, les forces de répression avaient tiré à balles réelles sur la population, seule solution trouvée alors pour éteindre les émeutes. Aujourd’hui, un tel scénario est impossible. La communauté internationale est aux aguets et une telle décision précipiterait les condamnations multiples, les sanctions commerciales occidentales et, par conséquent, la chute du régime par l’extérieur. Au final, tirer sur la foule mécontente ne serait qu’ajouter de l’huile sur le feu.

Le régime use d’autres armes, plus discrètes, comme la coupure d’internet et, dans une certaine mesure, la répression militaire et policière.

Bien sûr, le régime use d’autres armes, plus discrètes, comme la coupure d’internet et, dans une certaine mesure, la répression militaire et policière. Certes, de nombreuses personnes sont arrêtées chaque jour, embastillées et torturées. Certaines d’entre elles seront malheureusement exécutées. Mais le pouvoir en place a perdu le contrôle de sa population et se trouve dans l’incapacité d’éteindre la révolution actuelle.

Les signes d’une chute imminente

Lors des soulèvements passés, on voyait essentiellement une ou deux catégories sociales battre le pavé et se soulever contre le pouvoir. En 1988, les classes moyennes étaient à l’œuvre. En 2019, il s’agissait plus des classes pauvres et démunies, voire affamées. A chaque fois, les manifestations restaient conscrites à quelques villes, voire à quelques quartiers symboliques. Mais cette fois, toutes les classes de la société iranienne ont rejoint les rangs de la révolution, dans plus de 220 villes du pays ! Des étudiants aux commerçants, en passant par les guildes, les médecins et les avocats, toutes et tous poursuivent le même but ; en finir avec la dictature religieuse !

De plus, l’organisation s’est également approfondie et poursuit chaque jour son élargissement, sous l’impulsion des unités de résistance et de leurs stratégies qui s’avèrent payantes. Et si les classes instruites, en particulier les chômeurs, les diplômés et les étudiants, et d’une certaine manière les classes moyennes qui ont été poussées vers les classes sociales inférieures, jouent un rôle important, ce sont bien les femmes qui restent la force motrice de cette révolution. Au sein d’un régime ayant érigé la misogynie en art de vivre, la pilule est forcément amère.

Sus à la misogynie !

La misogynie est sans aucun doute la caractéristique la plus importante de la dictature religieuse, dès les premiers jours de sa vie. En réprimant les femmes pendant 40 ans, ce gouvernement les a finalement incitées à vouloir le renverser. Dans chacun de ses discours, la cheffe de l’opposition iranienne, Mme Maryam Radjavi, a toujours insisté sur le fait que ce régime serait tôt ou tard renversé par les femmes, sous leur direction et leur encadrement. En un sens, le soulèvement qui s’opère actuellement en Iran est un événement trans-classe. Quelle que soit la classe sociale, les femmes sont solidaires et entraînent avec elles toute la société iranienne.

La culture de la peur, bien ancrée dans le cœur de la population, semble avoir totalement cédé sa place.

Cette transcendance s’observe également à une autre échelle. La culture de la peur, bien ancrée dans le cœur de la population, semble avoir totalement cédé sa place. Le chemin vers la liberté commence toujours par une forme de libération intérieure. Désormais, les personnalités, les artistes, les athlètes, les écrivains, les poètes et la culture de la société ont définitivement évolué et l’ancien système oppressif fermé n’est plus viable. Il y avait un peuple avant Mahsa Amini. Il n’est tout simplement plus le même maintenant. Le retour en arrière est dorénavant impossible. Si l’on ajoute à cela l’incapacité des forces armées à mater une rébellion prenant chaque jour un peu plus d’ampleur, par peur de l’opprobre populaire (et familiale pour chacun des soldats), il est clair que le rapport de force bascule du côté du peuple.

Lentement, mais sûrement, le régime s’affaiblit et sa chute est désormais inéluctable. Il est encore difficile d’en prédire le moment. Mais la date de l’abdication des mollahs ne restera qu’un détail de l’Histoire. Certains événements  peuvent accélérer le mouvement. D’autres sont encore susceptibles de le ralentir. Tout dépendra des positions internationales, de la coordination entre les différentes oppositions au régime voire des événements inattendus. Mais la direction prise est définitive. L’Iran jouira bientôt d’une nouvelle constitution. Le changement de régime en Iran est inévitable.

Hamid Enayat (Paris),
politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne, CNRI