OPINION

Sénégal : poursuivre les responsables des dégradations et des morts en justice

Une femme passe devant un incendie près de la police à Dakar le 1er juin 2023, lors des troubles qui ont suivi la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko. AFP

Le jeudi 1er juin 2023, le Sénégal renoue avec les violences. Ces violences, trouvent leurs origines aux évènements de février et mars 2021. En effet, dans la nuit du 2 au 3 février 2021, une masseuse, dénommée Adji Sarr, a porté plainte pour viols répétitifs et menace de mort contre l’opposant Ousmane Sonko. Ce dernier, par la suite, fit une sortie sur le plateau d’une télé de la place dénonçant un complot d’Etat et une tentative de liquidation politique. Il appela les jeunes à un « mortal combat » face au régime. Ce jour-là, il expliqua s’être rendu au salon de massage « sweat beauté » pour soigner des douleurs lombaires. Toutefois, il refuse de se rendre à sa première convocation du 8 févier. Après le vote de la levée de son immunité parlementaire (il était député à l’époque des faits), il est à nouveau convoqué pour le 3 mars 2021, une foule immense l’accompagna. Sa garde à vue par la gendarmerie déclenche une série de manifestations violentes à Dakar et dans certaines régions du Sénégal. Des biens publics et privés furent attaqués : boutiques, magasins, les grandes surfaces Auchan, des stations TotalEnergies, des postes de police et gendarmerie… Au total, ces manifestations ont fait 14 morts et des dégâts matériels considérables. Ce jeudi 1er juin, suite au verdict condamnant Ousmane Sonko à 2 ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse et à 20 millions francs CFA (environs 30.535 euros) de dommages d’intérêts pour la plaignante Adji Sarr, des émeutes ont éclaté dans le pays. Elles ont entraîné des saccages de biens et des morts.

Le 6 avril 2022, le doyen des juges d’instruction de Dakar relance l’instruction du dossier. Les deux principaux concernés Ousmane Sonko et Adji Sarr ont été auditionnés avant d’être confrontés. De la même manière, la propriétaire du salon « sweat beauté », Ndeye Khady Ndiaye a été également été auditionnée. Par la suite, ils furent envoyés devant le tribunal correctionnel. Le procès a eu lieu le 23 mai dernier. A plusieurs reprises, l’opposant Ousmane Sonko a indiqué dit qu’il boycottera le procès. Une semaine avant le verdict, il lança une caravane partant de son fief en Casamance demandant aux jeunes et à la population de le suivre jusqu’à Dakar pour déloger le Président de la République au palais. Il fut arrêté en cours de chemin et maintenu en résidence surveillée chez lui à Dakar.

Seize morts en deux jours de violentes manifestations

Le verdict est rendu ce jeudi 1er juin 2023. Bien qu’il soit acquitté des accusations de viol et de menace de mort, Ousmane Sonko est condamné à 2 ans de prison ferme pour corruption de la jeunesse et à 20 millions francs CFA (environs 30.535 euros) de dommages d’intérêts pour la plaignante Adji Sarr. Aussitôt après le verdict, des manifestations suivies d’émeutes éclatent dans la journée à Dakar et dans plusieurs localités du Sénégal. De nombreux biens publics et privés sont attaqués et brulés entre le jeudi et le vendredi. Des intérêts français sont attaqués comme les sites d’Auchan à Dakar et à Mbour ainsi que des stations essence TotalEnergies. La propriétaire du salon « sweat beauté », Ndeye Khady Ndiaye a été condamné à deux ans de prison ferme pour incitation à la débauche.

Ousmane Sonko, président du parti d'opposition Patriotes sénégalais pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF) lors d’un évènement organisé le 3 juillet 2022 à l'école fondamentale HLM de Ziguinchor. AFP

La condamnation en justice de l’opposant politique Ousmane Sonko a déclenché une vague d’émeutes au Sénégal faisant 16 morts en deux jours.  (Photo by AFP)

Pour faire face aux violences, l’Etat a déployé l’armée dans les grandes villes notamment à Dakar pour protéger plusieurs sites. Les émeutes ont fait 16 morts durant ces deux jours. Le samedi et dimanche la tension a fortement baissé. Le ministre de l’intérieur et la police nationale ont fait des sorties médiatiques pour parler de forces occultes ayant infiltrés les manifestants. Selon ces autorités étatiques, des personnes armées tirent sur des populations tout comme sur les Forces de sécurité.

Accès à Internet bloqué

Pour essayer de freiner la propagation des images de violence liées aux manifestations, l’Etat sénégalais a restreint, voire supprimer, l’accès aux réseaux sociaux  entre vendredi et samedi. Le réseau Internet est rétabli depuis ce lundi soir 5 juin. Durant l’après-midi du samedi et dimanche jusqu’au lundi, le réseau Internet mobile est totalement bloqué. Les conséquences restent énormes : blocage des transferts d’argent mobiles ainsi que des communications internes et externes entre les Sénégalais et la diaspora.

Des membres des Forces armées sénégalaises patrouillent dans les rues de Dakar, le 2 juin 2023 à la suite de violentes manifestations. AFP

Des membres des forces armées sénégalaises en faction devant une enseigne Auchan. (AFP)

L’économie et les transports tournent au ralenti : banques, boutiques, grandes surfaces, de nombreux services fermés… Dans les universités publiques, la violence s’installe : les bâtiments des facultés de droit, de médecine, sciences, sciences humaines et l’EBAD (Ecole de Bibliothécaires, Archivistes et Documentalistes) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar sont brulés. D’où la décision de fermer temporairement les universités de la part des autorités de ces institutions. La journée d’hier lundi fut relativement calme.

Pour retrouver la stabilité, il est indispensable de mettre en place une commission d’enquêtes afin de rétablir la vérité sur les morts et les destructions de 2021 et 2023. Les responsables doivent être poursuivis pour les atteintes aux biens et aux droits des citoyens. Des fonds doivent être dégagés afin de dédommager les victimes (morts comme vivants). Cela passe aussi par un dialogue sincère entre acteurs politiques et surtout un respect des instituions afin d’éviter ces violences liées surtout à la politique.

Serigne Saliou LEYE
Professeur d’histoire et géographie dans le secondaire supérieur au Sénégal.
Etudiant à l’Université Libre de Bruxelles pour un Certificat interdisciplinaire et interuniversitaire en Justices Transitionnelles à l’ULB (Bruxelles)