SITUATION TENDUE AU SENEGAL

Election présidentielle annulée à trois semaines du scrutin, un grand recul démocratique au Sénégal !

Des gendarmes sénégalais patrouillent sur une route lors de manifestations convoquées par les partis d'opposition à Dakar le 4 février 2024 pour protester contre le report de l'élection présidentielle. AFP

Ce samedi 3 février, le président Macky Sall a annulé l’élection présidentielle qui devait se tenir le 25 février prochain. L’annonce de sa décision est intervenue à quelques heures du début de la campagne électorale, sur fond d’accusation de corruption visant des membres du Conseil constitutionnel. Le report du scrutin est une première dans l’histoire du Sénégal.

L’élection présidentielle qui se profilait à l’horizon pour le 25 février 2024 vient d’être reportée, lors d’une brève allocution à la nation du président de la république, Macky Sall, retransmise en directe samedi 3 février à la télévision. Lorsque le 20 janvier 2024, le Conseil constitutionnel publiait la liste définitive des candidats retenus, personne ne pouvait imaginer la non tenue de ces élections. Pourtant, le processus électoral avait démarré depuis décembre passé. En effet du 10 au 26 décembre 2024, les candidats déposaient auprès du conseil constitutionnel leurs dossiers de candidatures comprenant notamment le nombre de parrainages recueillis.

Accusation de corruption

Au Sénégal, une loi votée en 2018 exige des candidats de recueillir le parrainage des électeurs. Cette loi révisée en juillet 2023 fixe le nombre de parrains entre 0,6% et 0,8 % des électeurs ou des députés ou des élus locaux. Au total 93 candidats avaient déposé leurs dossiers. Le Conseil constitutionnel procédait à la vérification des parrainages du samedi 30 décembre 2023 au 4 janvier 2024. Après la publication d’une liste provisoire de 21 candidats, l’un de ces derniers, Thierno Alassane Sall (candidat du parti politique La  République des Valeurs) introduit un recours contre la candidature de Karim Wade (Parti démocratique sénégalais/PDS) pour binationalité.

En effet, la loi permet aux candidats d’introduire des recours contre un ou plusieurs autres 48h après la publication de la liste provisoire. Au Sénégal, l’article 28 de la Constitution dispose que pour être présidentiable il faut être « exclusivement de nationalité sénégalaise ». La publication d’un décret par le gouvernement français le 17 janvier dernier attestation la déchéance de sa nationalité française à cette date enfonce Karim Wade. Car, en signant l’attestation sur l’honneur attestant qu’il est exclusivement de nationalité sénégalaise en décembre, il jouissait encore de sa nationalité française. Son recalage par le Conseil constitutionnel pousse les sympathisants du PDS à protester partout accusant, sans aucune preuve, des membres de la haute institution  de corruption. Pour rappel, Karim Wade est le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade.

Et les choses s’accélèrent

Mercredi dernier, 120 députés (PDS et élus de la majorité présidentielle principalement) contre 24 de l’opposition créent une commission d’enquête sur le processus électoral. Trois jours plus tard, le bureau de l’Assemblée nationale adopte un projet de loi pour le report de l’élection présidentielle quelques heures avant son annulation par le président Macky Sall.

Si le président parle de report, il est clair que c’est une annulation des élections puisqu’il ne fixe aucune date précise pour une organisatiuon future. Ainsi, le Sénégal fait face à un recul démocratique sans précédent. En effet, le président lui-même, il y a quelques jours, recevant des candidats recalés par le contrôle des parrainages, leur avait indiqué que les décisions du Conseil constitutionnel ne peuvent faire l’objet d’aucun recours et qu’il ne pouvait pas intervenir dans le processus électoral.

Déception des Sénégalais

C’est la déception totale pour l’écrasante majorité des Sénégalais tout comme chez la plupart des candidats qui, ce samedi matin étaient à la Radiotélévision sénégalaise pour enregistrer leur première déclaration de campagne électorale, laquelle devrait s’ouvrir ce dimanche 4 février. Dans tous les cas, les candidats de l’opposition maintiennent leurs décisions de faire campagne et se sont donné rendez-vous dimanche après-midi au rond-point Saint Lazare de Dakar pour le lancement conjoint de la campagne électorale.

Cette décision inopportune d’annuler les élections bafoue non seulement l’énergie dépensée  par les candidats pour chercher des parrainages pendant trois mois, mais aussi les millions de francs CFA dépensés par chaque candidat pour confectionner les flyers, les affiches, les banderoles, les T-shirts, la location de véhicules pour la campagne.

Si le Sénégal n’a pas encore connu de coup d’Etat militaire, il vient de connaître son premier coup d’Etat constitutionnel.

Serigne Saliou Leye
Professeur d’histoire et géographie au Sénégal
Diplômé en Justices Transitionnelles (Université Catholique de Louvain/Université Libre de Bruxelles)