OPINION : ETRANGE PRATIQUE DE LA BANQUE NATIONALE

La politique de la Banque nationale de Belgique : Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais…

Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale (BNB), photographié lors d'une conférence de presse de la banque des banques. BELGA

Le lecteur intéressé par la publication du Rapport annuel 2023 de la Banque Nationale aura certainement eu son attention attirée sur les éléments suivants. Prenons la peine de lire les comptes annuels, établis au 31/12/2023 selon un schéma propre à la Banque Nationale, qu’elle vient de publier sur son site web. Constatons d’emblée que le total du bilan de notre Banque a fondu de 15,5%, soit de 52,6 milliards d’euros, passant de 339 milliards à 286,4 milliards. Cet affaiblissement considérable des actifs, avoirs propriété de la Banque, est dû principalement à la baisse des octrois de crédit à long terme (-40 milliards) et à la baisse de son portefeuille de titres (-8,3 milliards). Au 31/12/2023, la Banque détient un portefeuille de titres de 238,1 milliards dont 17 milliards en compte propre et 221,1 milliards à des fins de politique monétaire.  

Il n’est pas habituel de lire à l’actif du bilan un résultat en perte de 3,4 milliards. Comme si cette perte considérable était un avoir ! Beaucoup de sociétés en difficulté aimeraient « bénéficier » de tels avoirs.

Si on remet cette perte en diminution des fonds propres, cela porte la baisse des actifs de la BNB à 55 milliards par rapport à 2022.

Pourquoi la perte de 2023 de 3,4 milliards ne figure-t-elle pas en diminution des fonds propres de la Banque ? Encore une chose étrange.

La perte de 2022 s’établissait à 580 millions et apparaissait aussi à l’actif du bilan de la BNB au 31/12/2022. Mais dans les comptes 2023, cette perte de 2022 est bien inscrite en diminution des fonds propres de la Banque (et non pas en 2022).

Des fonds propres en trompe l’œil

Les fonds propres de la Banque de 2023 s’établissent à 6.837 millions, c’est-à-dire, en diminution de 580 millions par prélèvement sur la réserve disponible en 2023. Mais pour quelles raisons, la Banque ne diminue-t-elle pas ses fonds propres de la perte réalisée en 2023 de 3.370 millions, comme toute entreprise ?

Les fonds propres de la Banque Nationale au 31/12/2023 ne seraient pas de 6,8 milliards, mais bien de 3,4 milliards, soit 50% de moins.

De la sorte, les fonds propres de la Banque Nationale au 31/12/2023 ne seraient pas de 6,8 milliards, mais bien de 3,4 milliards, soit 50% de moins. Les fonds propres de la Banque pourraient rapidement passer dans le rouge.

Et la Banque signale qu’elle estime le niveau minimal de réserves à 7,5 milliards, mais qu’elle souhaiterait à moyen terme un niveau de 13,6 milliards. A fin 2023, il manque donc déjà 4 milliards de réserves à la Banque par rapport au niveau minimal estimé.

Réduction du portefeuille

Conséquence directe, la Banque va devoir réduire la taille de son portefeuille titre statutaire (calculée de la somme du capital, des réserves et des comptes d’amortissements) de 6,4 milliards à 3 milliards. Ce portefeuille statutaire fait partie du portefeuille titre que la Banque détient en propre, qui s’élève à 17 milliards. On voit donc l’impact de 20% causé par cette perte de 2023.

En outre, la BNB constate que si elle avait vendu tout son portefeuille titre (17 milliards), elle aurait dû acter une perte supplémentaire de 513 millions (voir page 178 du Rapport d’entreprise), soit 3,02% de la valeur de son portefeuille propre. Elle n’a donc pas acté de réduction de valeur au 31/12/2023, alors que le droit comptable le préconise !

Etrangement aussi, le lecteur ne peut identifier de réductions de valeur actées sur le portefeuille titre détenus à des fins de politique monétaire qui atteint 221 milliards. Imaginons le même impact de 3,02% sur ce portefeuille, cela engendrerait une réduction de valeur supplémentaire de 6,7 milliards !

D’où viennent les pertes de la BNB ?

Mais d’où viennent ces pertes si elles ne proviennent pas de réductions de valeurs ? De la charge astronomique des intérêts payés aux banques et organismes financiers qui déposent leur argent à la Banque Nationale pour 24 heures au taux de 4% sur les 4 derniers mois de 2023. La Banque a ainsi versé 8,2 milliards à ces organismes (qui ont déposé 250 milliards, ce qui donne un taux moyen de 3,3% – page 233 du rapport d’entreprise) en 2023. Elle a encaissé seulement 4,9 milliards de produits financiers (dont 1,8 milliard, soit 0,8% d’intérêts sur le portefeuille titre moyen de 227 milliards, 1,1 milliard de produits sur les créances nettes de la BCE- page 232 du rapport d’entreprise).

Les établissements de crédit belges ont ainsi déposé leurs excédents de liquidité en facilité de dépôts à la Banque Nationale, et ont été rémunérés à hauteur de 3,3% pendant que les titulaires d’un compte d’épargne pleuraient pour recevoir un peu plus d’1%. De là à en déduire que la Banque Nationale a favorisé les établissements de crédit belges au détriment des épargnants, il n’y a qu’un pas que l’absence de transparence des comptes nous empêche de franchir.

Augmentation des dépenses de personnel

Au vu des pertes réalisées, on ne manquera pas de s’étonner de l’augmentation des dépenses de personnel qui passent de 320 millions à fin 2022 à 451 millions à fin 2023, soit en hausse de 131 millions, soit + 41% sur une seule année. La note 31 du rapport des comptes signale qu’« une dotation non récurrente de 108,9 millions au fond de financement du plan de pension à prestations définies dont bénéficie une partie du personnel a été comptabilisée, afin de couvrir l’impact de la forte hausse de l’inflation en 2022 ». (page 237 du rapport d’entreprise). Le résultat est tellement beau que la Banque n’hésite pas de l’aggraver encore par une ponction de 109 millions pour financer les obligations de pension à prestations définies.

Au vu des pertes réalisées, on ne manquera pas de s’étonner de l’augmentation des dépenses de personnel qui passent de 320 millions à fin 2022 à 451 millions à fin 2023.

Au vu du bilan social qui indique un nombre moyen de 1.665 travailleurs à temps plein et 332 à temps partiel, les charges de personnel représentent une moyenne de charge de personnel de 232.000 euros par personne, faut-il le préciser !

Quelles conclusions ?

Quelles conclusions tirer de ce rapport d’entreprise de la Banque Nationale publié ce 27/3/2024 ?

  • La Banque applique ses propres règles et n’applique pas les règles comptables applicables à toutes les autres sociétés belges.
  • Les fonds propres de la Banque ont fondu de 50% en 2023 et ce sans avoir acté la moindre réduction de valeur sur son portefeuille. Elle informe le lecteur que ses réserves minimales doivent être de 7,5 milliards et n’en dispose déjà plus que de 3,4 milliards, soit moins de la moitié.
  • Le rapport de la Banque détaille, sur 6 pages, les risques auxquels la Banque peut être confrontée. Cela ne l’empêche pas d’afficher une perte abyssale de 3,4 milliards, montant astronomique, et de verser plus de 100 millions à son fonds de pension. Aurait-elle autorisé pareille dépense à une société dont la Banque assure le contrôle prudentiel ?

« Faites ce que je dis mais pas ce que je fais » est clairement la nouvelle devise de la Banque dite Nationale !

Patrick Henri
Ancien directeur financier d’un grand groupe

Aussi très intéressant à traiter :

En Belgique, le cas d’Euroclear a attiré l’attention dans le contexte des sanctions financières prises à l’encontre de la Russie dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine, à la suite desquelles Euroclear s’est retrouvée avec des actifs russes gelés. Elle a commencé à placer des fonds issus de ces actifs (perçus lors de l’encaissement de coupons ou de remboursements à l’échéance des titres) sur la facilité de dépôt de la Banque. La Banque rémunère ces réserves au taux de la facilité de dépôt mais, in fine, elle n’assume qu’une petite partie de cette rémunération car cette dernière est partagée au niveau de l’Eurosystème. Plus spécifiquement, chaque banque centrale supporte une part des charges agrégées de l’Eurosystème proportionnellement à sa part dans la clé de répartition du capital (soit 3,61 % dans le cas de la Banque Nationale). (page 85 du Rapport).

En réalité, les intérêts produits des avoirs russes gelés sont déposés à la BNB et sont rémunérés au taux de 3,3% en 2023 par les Banques centrales.