OPINION : VERS UN RETOUR DE LA REGENCE D'ALGER ?

Réunion tripartite Algérie-Tunisie-Libye : le lancement d’une nouvelle dynamique maghrébine

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, entouré de ses homologues tunisien, Kaïs Saïed (à droite sur la photo) et libyen, Mohamed Younes El-Menfi (à gauche) lors des discussions sur la mise en place d'un sommet tripartite tous les trois mois. Crédit: site Internet Présidence algérienne.

Début mars a eu lieu, en marge du  7e Sommet du Forum des pays exportateurs de gaz, une rencontre entre les Présidents algérien, tunisien, et libyen, dont peu de médias se sont fait l’écho en Occident. En effet, le 3 mars dernier, les dirigeants de l’Iran, l’Irak, le Qatar, la Mauritanie, le Sénégal, la Tunisie, la Libye, le Mozambique et la Bolivie, concluaient leurs travaux. Abdelmadjid Tebboune, Président de la République algérienne, son homologue tunisien, Kaïs Saïed, et Mohamed Younes El-Menfi, Président du Conseil présidentiel libyen, se sont rencontrés sur place afin de passer en revue les résultats de ce sommet et discuter de l’avenir. Le bilan principal de cet échange tripartite: l’entérinement d’une réunion tripartite tous les trois mois. Premières retrouvailles entre les trois Présidents : elles auront lieu en Tunisie à l’issue du Ramadan. 

L’objectif de la réunion tripartite entre les trois Présidents sera évidemment de discuter de la situation du Maghreb, qui émerge péniblement d’années de chaos, de guerre, ou d’instabilité politique, depuis les Printemps arabes survenus dès 2010 et dont une large partie des fruits remportés par les révolutions populaires ont été confisqués. Notamment par certains des dirigeants ici présents et déjà cités. Mais les difficultés sont colossales pour ces trois pays en particulier : des défis politiques, mais également économiques et sécuritaires. Certains parlent déjà du lancement d’une nouvelle dynamique maghrébine. L’Algérie et La Tunisie veulent profiter de leurs relations pour jouer le rôle de locomotive de cette union. Evidemment, le Maroc est out. Ce qui n’est pas une surprise vu la relation à couteaux tirés du Royaume chérifien avec l’Algérie depuis des années.

Un rappel de la période de la régence

Quelle unité maghrébine donc ? Quelle dynamique ? C’est un problème historique dans la région, encore plus depuis que l’Union du Maghreb Arabe est dans l’impasse. Le Maghreb tourne en rond mais tente d’inventer des solutions, souvent plus exclusives qu’inclusives. D’ailleurs ce projet d’axe Alger-Tunis rappelle quelque part la période de la Régence d’Alger et de Tunis où tout n’était déjà pas tout rose.

Car la « régence d’Alger », également connue sous le nom de régence d’Alger et de Tunis, était un Etat barbaresque. Son histoire est étroitement liée à celle de la région du Maghreb dans son ensemble, caractérisée par une large influence ottomane, des activités corsaires et des tensions avec les puissances européennes.

La régence d’Alger trouve ses origines au début du XVIe siècle, lorsque les Ottomans établirent leur domination sur la région. Alger devint rapidement un centre important du commerce méditerranéen et un bastion de la piraterie barbaresque, pratiquée par des corsaires musulmans contre les navires chrétiens. Cette activité corsaire, bien que controversée, assura une source importante de revenus à la régence.

Puis le déclin et la fin avec la colonisation française

Au fil du temps, la régence d’Alger étendit son influence sur d’autres territoires du Maghreb, notamment Tunis. La région devint alors un acteur clé dans les affaires méditerranéennes, négociant avec les puissances européennes tout en rivalisant avec elles pour le contrôle des routes maritimes et du commerce. Les tensions avec les nations européennes, en particulier la France et l’Espagne, étaient fréquentes et souvent marquées par des conflits militaires.

Au XIXe siècle, la régence d’Alger entra dans une période de déclin. Les activités corsaires perdirent de leur importance face à l’évolution des relations internationales et à l’abolition de la traite des esclaves. Les pressions extérieures, notamment les campagnes militaires françaises, affaiblirent progressivement la régence.

C’est la colonisation française de l’Algérie en 1830 qui marqua la fin de la régence d’Alger en tant qu’entité politique autonome. La France étendit son contrôle sur toute la région du Maghreb, mettant fin à des siècles de domination ottomane et barbaresque. La Tunisie suivit bientôt le même chemin, devenant un protectorat français en 1881. En réalité et avec le recul, la régence d’Alger laisse derrière elle un héritage complexe. D’une part, elle a joué un rôle important dans l’histoire maritime de la Méditerranée, influençant les affaires politiques et économiques de la région pendant des siècles. D’autre part, elle est souvent associée à des activités corsaires et à des conflits avec les puissances européennes, contribuant à façonner les perceptions de la région dans l’histoire européenne.

On peut considérer aujourd’hui que la régence d’Alger a été un acteur majeur dans l’histoire du Maghreb, laissant une empreinte indélébile sur la région et sur les relations entre l’Afrique du Nord et l’Europe. Son histoire complexe illustre les dynamiques politiques et économiques qui ont façonné le Maghreb au fil des siècles, tout en soulignant les défis posés par les interactions entre les cultures et les puissances rivales. Est-ce que sa résurrection sans ses dérives peut sauver le Maghreb ? Affaire à suivre dès la prochaine rencontre à Tunis après le 10 avril prochain.

Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au  CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense), au Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire Géostratégique de Genève (Suisse).