SOCIETE

Voile : la solution par la voie judiciaire n’est pas la plus appropriée

BELGA

Co-directeur d’Unia, le centre interfédéral pour l’égalité des chances, Patrick Charlier, estime que les procédures judiciaires ne sont pas la solution privilégiée pour répondre aux questions sur la diversité convictionnelle. D’après lui, la neutralité des services publics est un souci légitime, mais il plaide pour une solution de consensus, loin de l’interdiction absolue et de l’autorisation absolue. Il défend une solution législative pour apaiser « l’hystérisation » actuelle autour du dossier du port du voile.

 

Visiblement, la question du port du voile et, au-delà, des signes convictionnels ne semble pas quitter la Une de l’actualité. Ce week-end, une interview d’Ihsane Haouach, la commissaire du Gouvernement fédéral auprès de l’Institut pour l’égalité hommes-femmes, chez nos confrères du Soir a encore électrisé le débat. Elle dit s’être « sentie agressée » par Corentin de Salle, l’un des administrateurs de l’Institut qui lui avait demandé d’enlever son voile lors de la réunion du conseil d’administration. « Je pensais que c’était un débat sur la neutralité, j’ai compris que c’est un débat qui a un fond raciste et sexiste », a-t-elle déclaré au journal vespéral.

Début mai, le tribunal du travail francophone de Bruxelles condamnait la Stib pour discrimination fondée sur les convictions religieuses et le genre. Dans son jugement, le tribunal ordonne à la société des transports publics bruxellois de mettre fin à la « la laïcité exclusive » et d’autoriser le port du foulard en son sein. Le dossier a été renvoyé au Gouvernement bruxellois qui a décidé de ne pas faire appel, mais a demandé à la direction de la Stib de modifier son règlement de travail pour garantir « le principe de neutralité et d’impartialité des agents inhérent au fonctionnement et à l’organisation des services publics en général ».

Neutralité des services publics, un souci légitime

Dans un arrêt prononcé le 30 avril 2021 (lire sur lpost du 22/6), la Cour du travail de Liège donne raison à la coopérative des Pharmacies populaires de Verviers qui avait licencié une femme pour faute grave après qu’elle ait refusé d’enlever son voile islamique. Cette décision en appel, confirme le jugement en première instance et va à l’encontre de l’ordonnance condamnant à la Stib. Unia, le centre interfédéral pour l’égalité des chances avait soutenu l’employée pharmacienne licenciée et avait fait une intervention volontaire dans la procédure judiciaire. Contacté par nos soins, son co-directeur général, Patrick Charlier nous livre son analyse sur la question du port du voile. « La solution par la voie judiciaire n’est pas nécessairement la voie privilégiée pour répondre à ces questions de diversité convictionnelle. Les décisions judiciaires se suivent et ne vont pas dans le même sens. Dans l’ordonnance concernant la Stib, on parle énormément de la neutralité des services publics, ce qui est un souci totalement légitime et c’est une vraie question. Mais ce débat sur la neutralité dépasse les services publics quand on voit qu’il intervient aussi dans le cas de l’arrêt concernant la pharmacie qui n’est pas un service public. Ici, la Cour considère que les clients doivent avoir confiance dans une pharmacie et qu’on y va pour des questions qui relèvent de l’intimité et de la discrétion. Mais si on se retrouve en face d’une employée portant le voile, on peut imaginer que cette neutralité n’est plus garantie », nous a répondu Patrick Charlier.

Le législateur doit trancher

Le co-directeur d’Unia indique que le Centre va en justice pour défendre le principe de liberté de porter des signes convictionnels, mais reconnaît qu’il peut y avoir exceptionnellement des limitations à cette liberté. « Dans certains cas, nous estimons que ces limitations ne sont pas justifiées et il nous arrive d’obtenir gain de cause, parfois pas. Parfois, il nous arrive aussi d’adapter nos propres argumentations », poursuit-il.

Face à ses décisions contradictoires, la question se pose de savoir comment régler la question du port du voile qui crée aujourd’hui des clans dans la société. « C’est au niveau législatif que le débat doit être tranché. La solution se trouve entre l’interdiction absolue et l’autorisation absolue. C’est une solution de consensus qui pourrait apaiser l’hystérisation qu’on connaît aujourd’hui. Quand on parle de service public, il faut se dire quel type de fonction pour lequel la neutralité d’apparence est importante. Est-ce pour ceux qui se trouvent dans une fonction d’autorité comme les enseignants ou les policiers ? Ou alors suivre une autre jurisprudence qui parle des personnes en contact avec le public. Mais ça veut dire quoi être en contact avec le public ? La personne qui travaille dans un service de nettoyage est-elle en contact avec le public », pose Patrick Charlier.

Le débat est loin d’être clos. Concernant le dossier de la pharmacienne licenciée à Verviers, aucune décision n’est encore prise quant à l’éventualité d’aller en cassation ou pas. Quid de l’ordonnance concernant la Stib ? « La société des transports publics bruxelloise avait deux options possibles. Soit profiter de l’ordonnance pour s’engager volontairement et véritablement dans une démarche de révision de leurs pratiques comme Actiris (Office régional bruxellois de l’Emploi, ndlr) l’a fait d’initiative, soit aller en appel pour défendre avec des arguments ses principes de neutralité exclusive. Je pense que le dossier a été politisé et je serai curieux de voir comment la société va gérer les contraintes ou les injonctions qui seront données au niveau politique », conclut-il.