Attaque d’Israël par le Hamas/Gaza : l’architecture de sécurité de l’Etat hébreu ébranlée
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Pour qui suit l’actualité au Moyen-Orient, l’attaque hybride lancée par le Hamas contre Israël depuis la bande de Gaza ce samedi matin 7 octobre couvait depuis des semaines. Pourtant, les services israéliens n’ont rien vu venir. Dans un contexte de gestion minimale de la question palestinienne, de poursuite de la colonisation, de crise politique interne profonde autour de la réforme de la justice, d’un paysage politique de plus en plus influencé par l’extrême-droite nationaliste et religieux, Le Premier ministre, Benjamin Netanyahou, bien trop occupé à soigner sa coalition, a probablement négligé une partie de la sécurité de son pays et la menace pouvant provenir de l’extérieur. Il y a actuellement 600 morts côté israélien et 232 du côté palestinien à Gaza. Mais ce bilan est encore provisoire. Le Premier ministre israélien a assuré que « l’armée israélienne va utiliser toute sa puissance pour détruire le Hamas ».
En plein shabbat, à quelques jours de la fin de Yom Kippour, la fête du Grand pardon, et à l’approche de la fête de Souccot, célébrant la fin de la traversée du désert pour les Juifs dans l’antiquité, le Hamas a lancé entre 2500 et 5000 roquettes en direction du sud de l’Etat hébreu, provoquant la psychose et relançant une énième guerre avec Israël. Baptisée « déluge d’Al-Aqsa », c’est la plus violente et subite attaque lancée par l’organisation terroriste depuis de nombreuses années. Le « dôme de fer », censé prévenir les tirs de roquettes, n’est plus infaillible.
Une attaque symbolique qui rappelle un autre évènement d’il y a 50 ans
Alors qu’en mai dernier, des attaques provenant du Jihad Islamique avait déclenché la riposte de l’armée israélienne et qu’un cessez-le-feu avait été signé au bout de cinq jours, l’attaque surprise, cette fois ci, du Hamas, qui cherche à reprendre la main et le flambeau de la résistance palestinienne contre Israël, démontre, à la fois, la force de frappe du mouvement islamiste, sa capacité à continuer à développer son industrie artisanale d’armement, sa détermination à percer des tunnels qui permettent à ses terroristes de se rendre en territoire ennemi. L’attaque de ce matin est, dans un premier temps, un symbole.
Nous sommes exactement à la date « anniversaire » de la guerre du Kippour de 1973, au moment où Golda Meir, la Première ministre israélienne de l’époque, n’avait pas voulu écouter les services de sécurité de son pays l’alertant sur une attaque arabe imminente venue d’Egypte et de Syrie, avait vu les deux armées arabes attaquer l’Etat hébreu en pleine fête juive. Bis repetita ce matin : en plein Shabbat, du vendredi soir au samedi soir, le pays est à l’arrêt et les Israéliens, entre deux fêtes, ont été totalement pris par surprise.
Des otages israéliens, une puissante monnaie d’échange
Période de répit familial et social mais également politique. En effet, depuis des mois les Israéliens protestent contre le gouvernement de Benjamin Netanyahou qui cherche à faire sauter un des derniers verrous garants de la démocratie israélienne, en tentant de réformer la Cour Suprême pour limiter son pouvoir, et en permettant au politique de désigner les juges comme de les révoquer. La société est à couteaux tirés avec le pouvoir et une partie des réservistes de l’armée s’était même mise en grève, ceux-là même que le pouvoir vient de rappeler ce samedi matin pour faire face à l’attaque du Hamas.
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Des manifestants irakiens se préparent à incendier les drapeaux américains et israéliens lors d’un rassemblement organisé dans le centre de Bagdad le 7 octobre 2023 en soutien aux Palestiniens, après l’attaque meurtrière du Hamas. (Photo par Murtadha Ridha / AFP)
Deuxième symbole : le Hamas intervient dans un pays, qui se doit d’être invincible, mais qui est divisé donc affaibli depuis des mois. Ainsi, il montre sa capacité à s’adapter aux nouveaux types de conflits que le monde traverse.
Le mouvement terroriste palestinien fabrique ses armes, utilise des drones, déploie des forces au sol, et, ce qui crée le plus la panique au sein des Israéliens, enlève ses citoyens pour les ramener à Gaza afin qu’ils servent de monnaie d’échange lors d’une future négociation. On se souvient du soldat Gilad Shalit, pour lequel l’Etat hébreu avait tout tenté pour le récupérer jusqu’à ce qu’en juin 2011, Tel Aviv cède face au Hamas en acceptant de libérer 1027 détenus palestiniens contre sa libération. Autant dire que la quarantaine d’Israéliens déjà kidnappés depuis ce matin va permettre au mouvement islamiste de disposer d’un important atout face à Israël dans les mois à venir.
Des raisons financières
Troisième symbole : il n’y a pas que la date anniversaire, ni l’affaiblissement d’Israël qui ont poussé le Hamas à intervenir. Il y a aussi l’argent : un accord signé entre le Qatar et Israël depuis des années autorise Doha à assurer le financement des salaires des fonctionnaires de Gaza, que l’autorité palestinienne, mise dehors, ne pouvait plus assurer techniquement et financièrement. Israël n’avait pas le choix que d’accepter ce deal, car il sait qu’il n’a aucun intérêt à l’effondrement du Hamas à Gaza, sans quoi demain ce seront le jihad islamique ou l’Etat islamique qui prendront le contrôle de cette poudrière humaine.
En confiant au Qatar le paiement des salaires, Israël s’assure la stabilité (pas la situation idéale, car c’est à crève-cœur, mais une façon d’éviter le pire). Or, depuis un mois, la rente du Hamas a baissé et il proteste contre Israël et le Qatar. Le mécanisme est simple : Doha achète de l’essence en Egypte qu’il revend à Gaza et les bénéfices assurent le paiement des traites. Mais l’essence a vu son prix exploser depuis des mois, et les rentrées du Hamas ont diminué. Il n’est pas à exclure que le mouvement ait lancé cette offensive, pour se venger du refus des Israéliens et des Qataris de revoir leur copie à la hausse, et pour faire pression sur Israël.
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Des gens se rassemblent lors d’une manifestation à Sanaa, la capitale tenue par les Houthis au Yémen, le 7 octobre 2023, en soutien aux Palestiniens après que le groupe militant Hamas ait lancé une attaque surprise à grande échelle contre Israël, le 7 octobre 2023. (Photo ppar MOHAMMED HUWAIS / AFP)
Le mouvement sait bien que l’Etat hébreu n’a aucun intérêt à la destruction totale de Gaza et de son administration. Même si Tel Aviv demande aujourd’hui la liquidation de tous les chefs du Hamas, elle n’est pas dupe sur le fait que d’autres têtes pousseront au sein du mouvement. Et ce sur quoi Israël ne peut rien : c’est le soutien politique et militaire de l’Iran à la branche du Hamas.
Riposte ou cessez-le-feu
La guerre est tout sauf symbolique. Y a-t-il un risque d’embrasement ? Le Hamas a déjà obtenu une partie de ce qu’il souhaitait : montrer sa force de frappe, prouver qu’il peut prendre les Israéliens par surprise, tuer des Israéliens et prendre des otages pour négocier par la suite. Soit les choses s’accélèrent et Israël multiplie ses raids sur Gaza jusqu’à une certaine limite, soit un cessez-le-feu est rapidement initié par une des puissances régionales traditionnelles ayant de bonnes relations avec les belligérants : Egypte, Qatar en tête. L’Arabie Saoudite ?
Pas sûr que certains élèvent la voix dans le monde arabe pour condamner le rapprochement entre Tel Aviv et Riyad, que le Hamas aurait voulu torpiller par le lancement de cette attaque sans précédent. Pour l’heure, l’armée israélienne a riposté en bombardant des immeubles au cœur de la ville de Gaza qui se sont effondrés. Ce sont des immeubles de la « tour Palestine » dans le quartier Al-Rina à Gaza.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du Cecid (Université Libre de Bruxelles), du Cnam Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic center for Conflict Transformation (NCCT Stockholm).