Adhésion de l’Ukraine à l’UE: Bruxelles valide la candidature de Kiev, mais la route sera longue
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Depuis bientôt deux ans, l’Ukraine est plongée dans la guerre avec la Russie, après que Moscou ait envahi le sud du pays et occupé plusieurs territoires séparatistes à majorité russophone. Accusé d’être le suppôt de l’Occident et surtout de l’OTAN, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, s’est engagé corps et âme dans la bataille contre son homologue russe, Vladimir Poutine, depuis le 24 février 2022 pour essayer de chasser l’ennemi de son pays. Il faut reconnaître que beaucoup ont cru que les Ukrainiens allaient rapidement repousser rapidement l’invasion des russes. Rien de tout cela ne s’est passé: pire, l’Ukraine est dans une situation de plus en plus périlleuse, alors que le soutien politique, populaire, économique, militaire et financier semble s’éroder de jour en jour en cette fin d’année.
Alors que le refinancement du soutien américain est bloqué au Congrès depuis plusieurs jours, les Européens, qui se réunissaient en sommet à Bruxelles jeudi 14 décembre, ont validé en début de soirée l’ouverture de négociations avec l’Ukraine et la Moldavie pour une éventuelle adhésion un jour à l’Union européenne. C’est un premier pas qui ravira les Ukrainiens et énervera probablement Vladimir Poutine, mais pas de quoi crier au génie haut et fort tout de suite tant le chemin de croix sera long et périlleux pour Kiev avant de rejoindre les grands sommets européens de la capitale.
Lassitude des opinions occidentales
Le président Zelensky se satisfera sûrement de cette décision dans un contexte difficile pour lui et où les succès ne sont pas légion depuis des mois : baisse de popularité ; cote en hausse de son principal concurrent sur la scène politique, le général Valéry Zaloujny, échec de la contre-offensive, accusations de mensonges auprès des Occidentaux sur l’état réel des forces ukrainiennes et des rapports de force avec Moscou, lassitude des opinions occidentales, nouvelle candidature de Poutine au Kremlin l’année prochaine, possible retour de Donald Trump en 2024 qui se recentrera sur les intérêts des Américains, etc.
Si l’idée d’une adhésion à l’OTAN semble être un non-sujet depuis le début, le lot de consolation de l’Union européenne fait l’objet de débats internes à l’Union depuis le début de la guerre.
L’idée de remettre en cause le soutien occidental à l’Ukraine n’est plus un tabou après des mois de financement, dont certains jugeront les résultats sûrement décevants. Non seulement les opinions commencent à se lasser de ce conflit et du coût que supportent les Américains et les Européens pour une guerre dont on a voulu leur faire croire qu’elle était la leur ; mais aujourd’hui, dans les médias et chez certains spécialistes, on sent un possible effondrement des Ukrainiens qui sont tenus artificiellement à bout de bras par les Occidentaux.
Quid de l’élection présidentielle en Ukraine en 2024 ?
Il y a encore trois mois dire cela faisait passer les personnes pour des pro-Poutine. Ce n’est plus le cas. A partir du moment où les Occidentaux diront stop, il n’y aura plus de valeureux combat ukrainien au nom de valeurs morales. Ce sera le retour aux urgences et aux combats proprement européens.
En 2024, il devrait théoriquement aussi avoir une élection présidentielle en Ukraine. Mais Volodymyr Zelensky, pour toutes les raisons invoquées précédemment, semble vouloir repousser la tenue du scrutin. Il n’est pas sûr que le cadeau européen de jeudi soir suffise car il le sait : ces processus d’adhésion peuvent durer des décennies.
La Turquie est candidate depuis 1999 et son intégration n’a jamais paru aussi éloignée. Des pays comme l’Islande ont même abandonné entre leur candidature en 2009 et leur retrait en 2015. Et l’Ukraine a beaucoup de chemin à faire notamment en matière de lutte contre la corruption, son problème numéro un. En 2022, selon l’index Transparency international, Kiev obtenait un score de 33 sur un indice de 0 (très corrompu) à 100 (non corrompu). Le pays était classé sur 180 pays, 116ème. Pour information, la Russie était au 137ème rang mondial avec un score de 28.
Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), du CNAM Paris (Equipe Sécurité Défense) et du Nordic Center For Conflict Transformation (NCCT Stockholm)