IMMIGRATION EN PANNE

France : le paysage politique déchiré par le vote de la loi sur l’immigration. Que contient-elle ?   

Les députés de la coalition de gauche NUPES tiennent des pancartes indiquant « liberté, égalité, fraternité », la devise nationale de la France, alors que les autres députés se tiennent debout, après le vote et l'approbation du projet de loi visant à contrôler l'immigration, à l'Assemblée nationale française à Paris le 19 décembre 2023. AFP

Victoire… trahison… Deux mots souvent dits et répétés dans la foulée du vote pour l’adoption du projet de loi sur l’immigration à l’Assemblée Nationale, en fin de soirée de ce 19 novembre 2023. Une loi adoptée suite à un vote où la majorité présidentielle a pu compter sur le ralliement de la plupart de députés LR (Les Républicains, droite) et les 88 membres (dont leur cheffe Marine Le Pen) du RN (Rassemblement National, extrême droite). Un vote qui a immédiatement provoqué un cataclysme dans le Paysage politique français (PPF). Avec des gagnants, et aussi des perdants. Que contient le texte ? Le président Macron a assuré le service après-vente ce mercredi soir à la télé sur France 5. « Ce texte ne nous déshonore pas, il est utile pour lutter contre l’immigration clandestine et aider l’intégration », a-t-il défendu.

Parmi les gagnants, Marine Le Pen et « son » RN. Quel que soit le penchant politique des observateurs de la chose publique, tous sont unanimes : la patronne du parti d’extrême droite a réussi le « casse » de l’année en piégeant le Président de la République Emmanuel Macron, le gouvernement mené par Elisabeth Borne et leurs alliés de circonstance, le LR dirigé par Eric Ciotti et Olivier Marleix. Dans un premier temps, le matin du vote, Marine Le Pen et ses collègues ont assuré qu’ils étaient opposés à ce projet de loi présenté par Elisabeth Borne et Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, et l’après-midi, après que la Commission Mixte Paritaire (CMP) a réussi un compromis sur un texte, elle annonçait que son parti voterait cette loi. « Ce texte nous convient. Pour cause : il reprend tous les thèmes que nous défendons depuis plus de quarante ans. C’est une victoire idéologique », expliquait-elle.

Ce texte ne nous déshonore pas, il est utile pour lutter contre l’immigration clandestine et aider l’intégration.

Jamais mieux servi que par soi-même… Affirmer qu’« avoir des responsabilités, c’est faire des choix »… Rappeler que les valeurs du  « macronisme », c’est « empêcher, faire reculer le Rassemblement National »… Expliquer qu’« une bonne loi, c’est le fruit d’un compromis »… Ce 20 décembre 2023 pendant deux heures sur France 5, au lendemain de l’adoption de la loi sur l’immigration par l’Assemblée Nationale, le Président de la République, Emmanuel Macron, a assuré le service après-vente. Sur plus de deux heures d’intervention face aux journalistes de « C à vous », il a consacré la première demi-heure à cette séquence qui a vu certes l’adoption de ladite loi sur l’immigration mais aussi pris l’allure d’un cataclysme politique.

Ainsi, Emmanuel Macron a précisé que « ce texte ne nous déshonore pas, il est utile pour lutter contre l’immigration clandestine et aider l’intégration » et annoncé qu’il a saisi le Conseil Constitutionnel pour qu’il étudie le texte adopté par les députés et pointe les articles qui posent problèmes. Il a aussi tenu à lancer la charge contre le RN qui, contrairement à ce que sa cheffe Marine Le Pen se targue d’« une victoire idéologique », a fait « une manœuvre de garçon de bains, une manœuvre grossière… Mais cette loi, c’est une défaite du RN. J’assume de dire que les Français attendaient cette loi. Cette loi, je la revendique. C’est du ‘’en même temps’’ »…

Pourtant, toute la journée précédant l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron, deux mots revenaient, tels un leitmotiv : Victoire, trahison.

Que contient exactement le texte  adopté par le Parlement et qui suscite des réactions diverses et secoue la Macronie ?

Le texte rétablit le délit de séjour irrégulier avec une peine d’amende sans emprisonnement.

Régularisation des travailleurs sans-papiers

Concernant la régularisation des travailleurs Sans-papiers dans les métiers sous tension, le texte accorde un pouvoir discrétionnaire aux préfets. Par ailleurs, il s’agira d’un titre de séjour d’un an, octroyé au cas par cas, et à condition d’avoir résidé en France durant au moins trois ans et exercé une activité salariée durant au moins 12 mois sur les 24 derniers. Il s’agit d’une expérience test qui s’appliquera jusqu’à fin 2026. Les étrangers faisant déjà l’objet d’une condamnation ne pourront pas en bénéficier.

Délit de séjour irrégulier et quotas migratoires

Le texte rétablit le délit de séjour irrégulier avec une peine d’amende sans emprisonnement (3.750 euros d’amende). Par ailleurs, le texte consacre l’expulsion des étrangers actuellement protégés. Cette disposition permettra d’expulser les migrants condamnés pour des délits ou des crimes punis d’au moins trois ans de prison.

Le texte voté instaure des quotas migratoires. Concrètement, le Parlement pourra fixer un nombre d’étrangers à admettre sur le territoire (hors demandeurs d’asile). Cette disposition est valable pour les trois prochaines années. Mais elle est déjà considérée comme anticonstitutionnelle.

Il est aussi question de la déchéance de la nationalité et d’une limitation du droit du sol.

AFP

Le chef du groupe LR à l’Assemblée nationale française Olivier Marleix (au centre) et le chef du parti LR Eric Ciotti (à gauche des lunettes) sont satisfaits d’avoir fait passer leurs idées dans la loi sur l’immigration. (Photo par Ludovic MARIN / AFP)

Déchéance de nationalité et limitation du droit de sol

Il est aussi question de la déchéance de la nationalité et d’une limitation du droit du sol. En effet, la déchéance de nationalité pourra être prononcée à l’égard des binationaux condamnés pour homicide volontaire contre toute personne dépositaire de l’autorité publique.

Le texte comprend toutefois une restriction de l’accès au titre de séjour « étranger malade ».

En ce qui concerne le droit du sol, il cesse d’être automatique avec le nouveau texte pour les personnes nées en France de parents étrangers : elles doivent désormais faire la demande de nationalité française entre 16 et 18 ans. Mais en cas de condamnation pour crimes, la naturalisation d’une personne née en France sera impossible.

Restrictions pour les aides sociales

Le nouveau texte apporte des restrictions à des aides sociales.  Le texte, né du compromis trouvé lors de la CMP, instaure une distinction entre les étrangers en situation d’emploi et ceux qui ne le sont pas. Par conséquent, pour le droit opposable au logement, les allocations familiales ou l’allocation personnalisée d’autonomie, un délai de 5 ans est prévu pour ceux qui ne travaillent pas, mais de 30 mois pour les autres. En ce qui concerne l’Aide personnalisée au logement (APL), une condition de résidence de 5 ans est fixée pour ceux qui ne travaillent pas et de seulement trois mois pour les autres. Ces restrictions ne s’appliquent pas aux étudiants étrangers, ni aux réfugiés et aux titulaires d’une carte de résident.

Regroupement familial durci

La France va durcir les critères de regroupement familial. Il faudra désormais une durée de séjour de deux ans (au lieu d’un an et demi), prouver qu’on dispose de ressources « stables, régulières, suffisantes » et de disposer d’une assurance maladie. Par ailleurs, le conjoint qu’on veut faire venir en France doit être âgé de 21 ans au moins (et non plus 18 ans).

Caution demandée aux étudiants étrangers

La droite a aussi obtenu l’instauration d’une caution pour les étrangers demandant un titre de séjour « étudiant ». Ils doivent donc déposer une caution pour couvrir le coût d’éventuels « frais d’éloignement ».

L’aide médicale d’Etat (AME) pour les sans-papiers, qui a longtemps fait l’objet de polémiques, ne fait pas partie du compromis.

L’aide médicale d’Etat (AME) pour les sans-papiers qui a longtemps fait l’objet de polémiques ne fait pas partie du compromis. La droite y a renoncé en échange de la promesse d’une réforme du dispositif en 2024.

Le texte comprend toutefois une restriction de l’accès au titre de séjour « étranger malade ». Sauf exception, il ne pourra être accordé que s’il n’y a pas de traitement approprié dans le pays d’origine. L’assurance maladie ne prendra pas en charge les frais si le demandeur dispose de ressources suffisantes.

Les mineurs ne pourront plus être placés en centres de rétention.

AFP

Le Président Macron défendra le texte sur l’immigration ce mercredi soir sur France 5. (Photo par Ludovic MARIN / AFP)

Victoire des Républicains

Avec cette annonce, Marine Le Pen savourait son plaisir d’avoir piégé le Président de la République, la Première ministre et le gouvernement. Et le RN, de demander la dissolution de l’Assemblée Nationale, d’appeler à de nouvelles élections et même de se voir à Matignon, en la personne de Jordan Bardella, le président du parti d’extrême droite, pour le poste de Premier ministre !

Un autre parti chante aussi sa victoire : Les Républicains (LR). Avec sa soixantaine de députés, le parti des anciens présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy est souvent présenté comme quantité négligeable aujourd’hui. Toutefois, c’est vers lui et ses responsables Eric Ciotti (surnommé « le Niçois qui mal y pense ») et Olivier Marleix que la majorité présidentielle (relative, à l’Assemblée Nationale) s’est tournée pour faire pencher la balance lors du vote. Avec moins de 5% lors du premier tour de l’élection présidentielle en mai 2022, le LR veut faire croire qu’il est, aujourd’hui, le maître du jeu…

Le grand perdant de cette séquence est bien le Président de la République Emmanuel Macron.

Côté perdants, le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF) et La France Insoumise (LFI) regroupés sous la bannière de la NUPES. A l’Assemblée Nationale, ses membres ont voté en bloc contre la loi sur l’immigration. Sans surprise, bloqués qu’ils sont dans leur posture de contestation permanente et l’ignominie, comme le montre, sur X (ex-Twitter), le texte de Jean-Luc Mélenchon, le « lider minimo » de LFI, qui évoque une « écœurante victoire ». Et d’ajouter : « Après la marche commune du 12 novembre voici la loi votée et écrite en commun. Un nouvel axe politique s’est mis en place »… De son côté, l’ancien Président de la République François Hollande y est allé de sa formule : « Le président Macron et le gouvernement n’ont pas pris les voix du Front national. Ils ont pris ses idées ».

Principal perdant : le parti du président Macron

Les plus touchés, quasi anéantis par la séquence de la loi sur l’immigration : la « macronie ». Parmi lesquels le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer Gérald Darmanin, accusé d’avoir navigué à vue depuis plus d’un an sur ce projet de loi. Ensuite, la Première ministre Elisabeth Borne qui, à la demande du Président de la République, a pris la main sur le dossier. Et une fois encore avec l’adoption du texte de loi, elle a sauvé son poste à Matignon, ce qui lui permet de confier : « Nous avons fait le travail avec un texte humaniste », mais jusqu’à quand. Revient alors la perspective d’un remaniement en janvier 2024. Et puis, le parti présidentiel Renaissance : à l’Assemblée Nationale, il compte 170 membres. Pour le vote de la loi sur l’immigration, 131 ont voté pour, 20 contre et 17 se sont abstenus. A l’image du quinquennat de François Hollande (2012-2017), la majorité présidentielle a ses frondeurs…

Le président Macron et le gouvernement n’ont pas pris les voix du Front national. Ils ont pris ses idées. 

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Les manifestants brandissent des pancartes s’opposant à la nouvelle loi controversée sur l’immigration mardi 19 décembre devant l’Assemblée nationale. (Photo par Dimitar DILKOFF / AFP)

Macron pris dans le piège du « en même temps »

Le cataclysme touche également les ministres. Avant même le vote à l’Assemblée Nationale, sept membres du gouvernement agitaient la menace de démission si la loi était adoptée. L’un est passé à l’acte : Aurélien Rousseau, ministre de la Santé et ancien directeur de cabinet d’Elisabeth Borne…

Toutefois, le grand perdant de cette séquence est bien le Président de la République Emmanuel Macron. Après le pitoyable épisode de la loi sur la réforme des retraites, le voilà à nouveau piégé à son propre jeu du « en même temps »

J’ai un cap, rendre le pays plus fort. Libérer, protéger, unir, voilà mon cap.

Alors qu’il lui reste trois ans et demi avant de quitter l’Elysée, il tente de faire croire que la séquence de la loi sur l’immigration est bouclée et qu’il faut, à présent, passer à autre chose. Toutefois, ses fidèles (il en reste) et ses adversaires s’interrogent encore et encore : le Président de la République a-t-il vraiment un cap pour sa politique ? Sait-il véritablement où il va ? Emmanuel Macron assure que oui : « J’ai un cap, rendre le pays plus fort. Libérer, protéger, unir, voilà mon cap »…

 

Serge Bressan (correspondant à Paris)