SUITE DE LA DEMISSION DU FORMATEUR BART DE WEVER

Benjamin Biard, politologue : « les alternatives à la coalition Arizona sont à la fois peu nombreuses et peu crédibles »

Après la démission du formateur Bart De Wever, le roi Philippe a poursuivi ce vendredi 23 août ses consultations. Il est ici avec Georges-Louis Bouchez, le président du MR. BELGA

Docteur en sciences politiques et chargé de recherches au Centre de recherche et d’informations socio-politique (Crisp), Benjamin Biard estime que la coalition Arizona qui rassemble trois partis flamands (N-VA, CD&V, Vooruit) et deux francophones (MR, Les Engagés) a plusieurs avantages. Le politologue souligne qu’elle réunit les « vainqueurs » des élections du 9 juin et qu’elle permet d’atteindre une majorité dans chaque groupe linguistique. « Cette majorité permet aussi de réunir un nombre de partis « raisonnable » ; la Vivaldi a en effet souvent été pointée du doigt pour sa relative inertie compte tenu du grand nombre de partis (7) qui la composent », observe Benjamin Biard. Il ne croit pas au retour du PS et de l’Open VLD dans le jeu car, dit-il, les deux formations « ont déjà indiqué opter pour une cure d’opposition. Dès lors, je crois que l’Arizona reste un scénario tout à fait crédible. Simplement, les négociateurs ont besoin de davantage de temps ». Il envisage la suite des discussions et dresse le profil d’éventuels futurs formateur.

Cette démission est-elle une surprise ou était-elle prévisible ?

C’est une surprise si on considère que les cinq partis en lice semblaient bien décidés à former une majorité ensemble et que la mission de Bart De Wever, jusqu’il y a peu, semblait progresser. L’ambition affichée et souvent répétée était de pouvoir former un Gouvernement fédéral d’ici le 20 septembre, date à laquelle la Belgique doit avoir rendu un plan budgétaire structurel de moyen terme à la Commission européenne. En même temps, l’enthousiasme exprimé par certains autour de cette perspective – surtout pour ce qui concerne sa temporalité – a sans doute été trop fort. Réussir à une former une coalition fédérale prend souvent bien plus de temps. L’expérience de la Vivaldi a notamment montré qu’il pouvait être utile, pour les partis en présence, d’étoffer l’accord de gouvernement et d’y bétonner ce qu’ils réussissent à obtenir lors des négociations. Cela prend du temps.

Au-delà des informations qui ont circulé dans la presse sur les raisons de cette démission notamment le refus du MR d’accepter un impôt sur les plus-values, y a-t-il d’autres raisons ?

Parvenir à accorder des partis aux sensibilités bien distinctes en matière fiscale n’est pas évident. L’échec de la réforme fiscale portée par Vincent Van Peteghem (CD&V) durant la législature écoulée l’a encore démontré. Aujourd’hui, on se retrouve face à une situation où Georges-Louis Bouchez veut démontrer que le MR incarne le véritable parti de droite, tandis que Conner Rousseau veut imprimer des marqueurs de gauche plutôt forts ; rappelons qu’il sera le seul parti de gauche à figurer au sein de cette coalition, le cas échéant. Il s’agit aussi de faire monter les enchères ou, à tout le moins, de montrer à sa base que c’est au prix de longues négociations que certains compromis auront été réalisés. Certains évoquent la volonté du MR de faire monter l’Open VLD à bord, en lieu et place de Vooruit. Mais je ne crois pas en cette option parce que le principal intéressé n’y est pas favorable, mais aussi parce que la majorité serait, le cas échéant, bien trop juste… et donc susceptible de vaciller à tout moment.

Certains évoquent la volonté du MR de faire monter l’Open VLD à bord, en lieu et place de Vooruit. Mais je ne crois pas en cette option.

Benjamin Biard est politologue au Crisp. D.R.

Comment voyez-vous la suite des négociations pour la formation du futur Gouvernement fédéral ?

Chaque parti – y compris le MR – a déjà réaffirmé sa volonté de former une coalition Arizona. Je pense donc que le Roi, après ses consultations de ce vendredi, va rapidement charger une personnalité politique d’une nouvelle mission. Celle-ci visera sans doute à remettre la coalition Arizona sur les .

Qui peut remplacer le formateur Bart De Wever ? Georges-Louis Bouchez, Sophie Wilmès, Maxime Prévot, etc.

Plusieurs noms circulent déjà. Les uns pensent que le Palais va désigner une personnalité plus lisse, capable de favoriser plus aisément le compromis, tandis que les autres croient plutôt qu’il a intérêt à désigner celui qui est perçu comme le responsable de l’échec de la mission portée par Bart De Wever, à savoir Georges-Louis Bouchez. Les jeux sont ouverts.

Les Flamands accepteront-ils un Francophone ?

Pourquoi pas ? Cela a déjà été le cas par le passé. Et l’Arizona a l’avantage de comporter une majorité au sein de chaque groupe linguistique à la Chambre. Mais il est vrai que, durant la campagne électorale, Bart De Wever avait fait de sa désignation au 16 rue de la Loi une condition de gouvernement.

La majorité « Arizona » a-t-elle du plomb dans l’aide ?

Je ne le crois pas. D’ailleurs, les partis jusqu’à présent réunis autour de la table ont réaffirmé leur volonté de travailler ensemble. Georges-Louis Bouchez lui-même a déclaré ce jeudi 22 août que « le fait de ne pas y être encore parvenu n’est en rien un constat définitif ». Par ailleurs, relevons que les alternatives sont à la fois peu nombreuses et peu crédibles. Il faut dire que l’Arizona comporte plusieurs avantages, dont ceux de réunir les « vainqueurs » des élections du 9 juin, de mettre en place des « coalitions miroirs » et de permettre d’atteindre une majorité dans chaque groupe linguistique. Cette majorité permet aussi de réunir un nombre de partis « raisonnable » ; la Vivaldi a en effet souvent été pointée du doigt pour sa relative inertie compte tenu du grand nombre de partis (7) qui la composent. Enfin, plusieurs formations – comme l’Open VLD et le PS – ont déjà indiqué opter pour une cure d’opposition. Dès lors, je crois que l’Arizona reste un scénario tout à fait crédible. Simplement, les négociateurs ont besoin de davantage de temps.

J’imagine mal Georges-Louis Bouchez favoriser un tel scénario faisant revenir le PS dans les négociations.

Le PS peut-il revenir dans le jeu ?

Aucun scénario ne peut être tout à fait exclu en Belgique. Mais cela me semble difficile. D’une part, Paul Magnette a déjà signifié son intention de voir le PS rejoindre les bancs de l’opposition. D’autre part, j’imagine mal Georges-Louis Bouchez favoriser un tel scénario. Travailler avec Vooruit ou avec le PS n’est d’ailleurs pas la même chose. Ces partis ne pèsent pas le même poids mais, surtout, ils ont une sensibilité différente sur les questions socio-économiques. Alors que le premier se définit plutôt comme social-démocrate, le second est d’ailleurs plus attaché à son étiquette socialiste.

Entretien: Philippe Lawson