CONTESTATION

Covid-19 : les anti-vax ou le retour des Gilets Jaunes en France?

AFP

Les manifestations de contestation contre le Pass sanitaire se multiplient en France, ce qui fait craindre aux  experts la montée d’un mouvement semblable à celui des Gilets Jaunes. Ils seraient soutenus par près de 40% de la population, selon un sondage de Harris Interactive pour la chaîne LCI.

Les slogans fusent. Sur des banderoles, sur des pancartes, on lit : « Vacciné à la liberté », « Terreur sanitaire », « Je ne suis ni un cobaye ni un QR code » ou encore « Liberté, liberté »… D’autres pointent précisément le président de la République Emmanuel Macron ou encore le gouvernement du Premier ministre Jean Castex. Des manifestations qui enflent : le 17 juillet dernier, 110 000 personnes ont défilé, la semaine suivante, elles étaient 161 000 et ce 31 juillet, en plein week-end de chassé-croisé entre vacanciers juilletistes et aoûtiens, le Ministère de l’Intérieur a comptabilisé 204 000 manifestants dans 150 villes de France. Des manifestations, fait rarissime, au cœur de l’été pour dénoncer, en cette époque de pandémie de la Covid-19, le Pass sanitaire et l’appel massif à la vaccination. Des manifestations avec des accrochages avec la police et même, à Montpellier, l’agression d’un pharmacien qui, sous une tente, pratiquait des tests PCR et fut traité de « collabo »…

500.000 vaccinés contre 200.000 manifestants le 31 juillet

A l’Elysée, on veut minimiser la crise mais, dans le même temps, « on reste en alerte », confie un conseiller du Président. De son côté, le Ministre de l’Intérieur assure : « Plus le mouvement durera, plus les franges les plus radicales prendront le pouvoir », et au Ministère des Solidarités et de la Santé, on lance : « S’il y a bien eu un peu plus de 200 000 personnes qui ont manifesté ce 31 juillet, le même jour en France plus de 500 000 personnes ont été vaccinées dans la journée ! » Et, apparaissant en tee-shirt noir sur Tik Tok et Instagram ce lundi 2 août, Emmanuel Macron a fait un exercice de pédagogie sur la nécessité de la vaccination. « Evidemment, on ne peut pas le nier, l’intervention présidentielle est liée aux manifestations qui, en moins de trois semaines, ont rassemblé le double de personnes ». Une intervention qui veut marginaliser les contestataires…

Contestataires soutenus par 40% de la population

Des contestataires qui, selon un sondage Harris Interactive du 30 juillet pour LCI, sont soutenus par 40% de la population. Un soutien en hausse puisqu’une enquête IFOP pour Le Journal du Dimanche diffusée le 25 juillet, faisait état de 35% de personnes favorables au mouvement contre le Pass sanitaire ou encore contre la vaccination obligatoire des soignants. Et ces temps-ci, le petit monde politique français glisse du bout des lèvres qu’il y a là, dans ces manifestations, comme un air de déjà vu avec le mouvement des Gilets Jaunes apparu en octobre 2018 pour, initialement, protester contre la hausse des carburants. Ainsi, dans les manifestations de cet été, on peut croiser d’anciennes figures des Gilets Jaunes, tels Jérôme Rodriguez ou encore Jacline Mouraud qui, comme bon nombre de leaders du mouvement, assurent ne pas être vaccinés. Toutefois, pour Sylvain Boulouque (historien, spécialiste du communisme, de l’anarchisme, du syndicalisme et de l’extrême gauche), les manifestations anti-pass sanitaire n’ont pas grand-chose à voir avec les Gilets Jaunes, tout en admettant qu’on peut trouver quelques points communs : « D’abord la manifestation du samedi, qui est devenue un rituel, mais aussi le fait que la mobilisation passe beaucoup par les réseaux sociaux. Le type de personnes qui manifestent n’est pas non plus très différent de ceux qui manifestaient lors de la mobilisation des Gilets Jaunes. L’autre point commun est l’opposition résolue et frontale à Emmanuel Macron ».

Sérieux potentiel explosif

Pour Sylvain Prudhomme, « on retrouve, tant chez les Gilets Jaunes que chez les manifestants de cet été, des catégories sociales modestes, mais aussi beaucoup d’artisans et commerçants ». Et d’ajouter : « Les Gilets Jaunes, à l’époque, s’appuyaient sur le soutien de 70% de la population, ce qui est encore loin d’être le cas des manifestations qui ont démarré le mois dernier. Mais n’empêche, il y a là un vrai potentiel explosif ». Ce que confirme un Gilet Jaune qui a participé aux manifestations anti-pass sanitaire : « A la rentrée, ça va être vraiment chaudard ! » Le politologue Vincent Tournier, de son côté, affirme : « C’est un mouvement populaire, très français dans son inspiration, qui a encore moins de relais auprès des élites intellectuelles et médiatiques que les Gilets Jaunes ». Encore une autre différence entre le mouvement des Gilets Jaunes et celui des manifestants anti vaxx et anti pass : originellement, les Gilets Jaunes n’avaient aucun leader, aucun porte-parole et se présentaient comme un mouvement citoyen.

Folie vaccinale

C’est tout à fait différent avec les anti-vax et anti-pass : si, parmi eux, on retrouve des « artistes » comme Francis Lalanne et Jean-Marie Bigard, l’affaire est bien orchestrée par des politiques, pour la plupart proches de la droite, voire de l’extrême droite. Chef de file de son micro-parti Les Patriotes, Florian Philippot (ex-n°2 du Front National et candidat déclaré à la présidentielle en avril 2022) s’est précipité sur le créneau, tout comme Nicolas Dupont-Aignan, patron de Debout la France ! et invité permanent de nombre de médias où il ne craint pas de jouer avec les approximations et dénonce « la folie vaccinale ». Dans cette galaxie qui donne surtout la sensation d’être plus encore que contre la vaccination et le Pass sanitaire, d’abord et surtout contre Emmanuel Macron (qu’ils surnomment, entre autres amabilités, « le VRP de Pfizer »), s’agitent quelques propagandistes comme Richard Boutry, un ancien présentateur de France Télévisions qui a assuré que les enfants positifs à la Covid-19 « seraient enfermés dans un camp Covid » dans le département des Landes, ou encore Fabrice Di Vizio, avocat parisien spécialisé en droit de la santé et farouchement anti-vaccin qui déclare : « Entre vivre comme un lâche ou mourir avec honneur, mon choix est fait ».

Et puis, comment ne pas remarquer en tête des cortèges avec sa chevelure léonine et son écharpe tricolore, Martine Wonner : psychiatre et députée du Bas-Rhin élue avec la majorité présidentielle dont elle a été exclue, elle est la chantre des anti-masques et des pro-Raoult (le professeur marseillais apôtre de l’hydroxychloroquine) et n’a pas craint d’appeler ses soutiens à faire le siège des permanences des parlementaires »… Toutes et tous qui n’hésitent pas à colporter des thèses complotistes n’ont qu’un mot d’ordre, qu’une idée fixe : anéantir leur ennemi Emmanuel Macron. Face à eux, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon à Paris, le Professeur Gilles Pialoux rappelle : « L’ennemi réel, ne l’oublions pas, c’est le virus ». Qu’on se le dise…

Serge Bressan (à Paris)