ASILE ET MIGRATION

Sans-papiers : le secrétaire d’Etat Sammy Mahdi accusé d’avoir mangé sa parole

La devanture de l'église Saint-Jean-Baptiste au Béguinage. Photo BELGA

Les avocats des sans-papiers et le porte-parole de la Plateforme citoyenne accusent le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration de ne pas respecter les promesses faites lors des négociations ayant mené à la suspension de la grève de la  faim après 60 jours de refus de s’alimenter. D’après eux, l’examen des dossiers de régularisation et les premières décisions qui tombent indiquent que neuf dossiers sur dix essuient une réponse négative.  Ils parlent de trahison.

Va-t-on vers un remake de l’épisode d’une occupation de l’église du Béguinage doublé d’une grève de la faim des sans-papiers ? Les signaux envoyés par les autorités belges, en l’occurrence par le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi (CD&V) ainsi que par les responsables de l’Office des étrangers suscitent l’incompréhension et la frustration chez les sans-papiers qui avaient mené la récente grève de la faim. Celle-ci avait duré près de 60 jours. Leurs avocats et le curé de l’église du Béguinage partagent leur sentiment et se demandent aujourd’hui si la méfiance manifestée par les grévistes à l’égard des autorités n’était pas finalement justifiée. En effet, Mes Alexis Deswaef et Marie-Pierre Buisseret, Mehdi Kassou (porte-parole de la Plateforme citoyenne) et Daniel Alliet (prêtre à l’église du Béguinage) qui avaient mené les discussions au nom des grévistes en juillet dernier avec Sammy Mahdi accusent celui-ci de ne pas tenir les engagements pris. Ils fustigent aussi l’attitude de Dirk Van Den Bulcke, directeur du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) et médiateur envoyé par le Gouvernement fédéral et de Freddy Roosemont, directeur de l’Office des étrangers, qui ont aussi assisté aux discussions.

Déçus par la tournure des événements, ils sortent du bois et dévoilent le contenu des négociations menées à l’époque avec le secrétaire d’Etat, Sammy Mahdi. Les avocats, l’homme d’église et le porte-parole de la Plateforme citoyenne retracent l’historique des échanges rappelant une première réunion le 20 juillet portant sur les pratiques de l’Office des étrangers en matière de régularisation et sur les revendications des grévistes. « Malgré de longues heures de discussions, cette première rencontre s’avérera un échec et chacun(e) repartira de son côté sans solution de fin de crise. Quelques heures plus tard, une nouvelle rencontre est fixée le 21 juillet à 9h du matin (sur invitation du cabinet), au cabinet du secrétaire d’Etat et, cette fois-ci, en sa présence », Mes Alexis Deswaef et Marie-Pierre Buisseret, Mehdi Kassou et Daniel Alliet. Pour rappel, la grève de la faim des sans-papiers avait le commencé le 23 mai et fut suspendue le 21 juillet à l’issue des négociations.

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Le secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi (CD&V) lors d’un débat en commission de la Chambre.

Des balises claires fixées, mais non respectées

Les échanges portent toujours sur les pratiques de l’Office des étrangers, mais précisent que le nœud du problème était la méfiance vis-à-vis de la façon dont l’institution allait traiter les dossiers de régularisation des grévistes. L’absence de critères clairs servant de base d’analyse et l’arbitraire qui en découle sont dénoncés. Des situations types sont présentées par le directeur de l’Office des étrangers, mais ils sont loin de la situation des grévistes. La particularité de ces derniers est qu’ils résident en Belgique depuis des années, peuvent témoigner d’une bonne intégration, d’une vie sociale et citoyenne active. Par ailleurs, ils peuvent aussi fournir la preuve d’offres d’emploi. Les quatre représentants avaient alors insisté sur le fait que les grévistes n’arrêteraient leur mouvement que si l’Office des étrangers accepte de tenir compte de ces éléments dans l’analyse de leurs dossiers de régularisation. « Le secrétaire d’Etat a alors répondu que les grévistes de la faim qui vivent en Belgique depuis un certain nombre d’années, qui sont bien intégrés et peuvent produire des preuves de ladite intégration, doivent introduire leur dossier et arrêter la grève car ceux-là sont dans une situation pouvant donner lieu à une régularisation », révèle le quatuor de représentants.

D’autres éléments auraient été aussi présentés et que l’Office des étrangers devait prendre en considération. Son directeur, Freddy Roosemont aurait confirmé la ligne à suivre. Parmi ces éléments figuraient notamment le fait que les interdictions d’entrées délivrées dans le passé ne seraient pas un obstacle à la régularisation, que les problèmes d’ordre public n’entraîneraient pas de facto un refus de régularisation, à l’exception des condamnations pour trafic d’êtres humains, qu’une attention particulière serait portée aux victimes de la régularisation de 2009 (régularisation par le travail, mais qui ont perdu leur emploi à cause de circonstances indépendantes de leur volonté), etc.

Sammy Mahdi ne respecte pas les paroles qu’il a lui-même prononcés.

Honte, trahison et confiance rompue

Ces balises étant bien fixées, les sans-papiers en grève de la faim (environ 470 personnes rassemblées à l’église du Béguinage et dans les locaux de l’ULB et de la VUB) ont renoué avec l’espoir de recevoir l’autorisation de rester en Belgique sans devoir se cacher, ni sous stress. Mais visiblement, ils ont vite déchanté en voyant le résultat des premiers dossiers de régularisation. D’après les quatre représentants, rien de ce qui avait été convenu lors des négociations n’a été respecté. La majorité des dossiers de régularisation est rejetée replongeant les anciens grévistes de la faim dans le désarroi. Or, disent-ils, ces dossiers répondent, en grande partie aux critères discutés et retenus. « C’est un scandale », fustige le prêtre Daniel Alliet. « L’esprit et le contenu de cette rencontre n’ont pas du tout été respectés. Sammy Mahdi ne respecte pas les paroles qu’il a lui-même prononcées. Nous étions quatre à cette rencontre et nous pourrons tous témoigner que les éléments qui ont été mis sur la table n’ont pas été respectés. C’est une honte pour chacun d’entre nous et un drame humain pour les centaines de sans-papiers dont l’avenir vient de se noircir très brutalement », peste-t-il.

Manifestation pour la régularisation des sans-papiers à Liège

Même tonalité chez les autres membres du quatuor de représentants des grévistes de la faim. « Ces 20 dernières années, j’ai été sollicité pour plusieurs sorties de grèves de la faim de sans-papiers et ai été en dialogue avec 4 ministres différents. Sammy Mahdi est le premier qui ne tient pas parole ! Nous avons été trompés, c’est une trahison sans nom et n’avons pas d’autre choix que de le dénoncer publiquement », renchérit Me Alexis Deswaef.

J’ai le sentiment d’avoir contribué à mettre fin à la grève de la faim et d’avoir été dupée par le secrétaire d’Etat.

Sa consœur Me Marie-Pierre Buisseret ne cache pas son amertume. « Nous n’avons pas inventé les paroles du secrétaire d’Etat et l’attitude du directeur de l’Office (des étrangers, NDLR). Nous étions quatre et avons toutes et tous entendu la même chose. J’ai le sentiment d’avoir contribué à mettre fin à la grève de la faim et d’avoir été dupée par le secrétaire d’Etat. C’est un scandale politique dont les conséquences humaines sont incommensurables », dit-elle. « C’est une vraie honte pour l’ensemble des membres du gouvernement qui ont assisté, de près ou de loin, à ces discussions. J’espère que les partis qui ont déclaré qu’ils quitteraient le gouvernement en cas de mort n’attendront pas une nouvelle grève de la faim pour questionner l’attitude du secrétaire d’Etat », conclut Mehdi Kassou. Il estime que cet épisode est un coup de canif « dans la confiance que la société civile et les citoyens peuvent avoir à l’égard du monde politique ».

Nous avons sollicité hier en fin de journée le secrétaire d’Etat, Sammy Mahdi, mais nous n’avons pas encore obtenu sa réaction. Pour rappel, environ 470 dossiers de régularisation ont été introduits, vingt d’entre eux ont fait l’objet d’une décision, mais cinq seulement ont reçu un avis favorable.