POLITIQUE

Saturation hospitalière : la crise est structurelle et non sanitaire

LP/Carole Sterlé

Depuis la fin du mois d’octobre, tous les hôpitaux généraux et universitaires de Belgique sont passés en phase 1A. La pression se fait de nouveau forte sur la capacité d’accueil hospitalière. Or, dans un contexte de pandémie, le nombre de soignants disponibles est aussi un éléments-clé dans le traitement des malades. Il y a désormais trop peu de personnel pour les prendre en charge. Par manque de bras, les 2.000 lits de soins intensifs qui sont théoriquement disponibles pour les malades ne le sont donc pas tous. La tendance est aussi notable dans les services normaux des hôpitaux. Mais, ce sont les coupes budgétaires, et non la pandémie, qui confrontent aujourd’hui le secteur des soins de santé à ces problématiques. Explications.

Afin d’optimiser la prise en charge et le traitement des patients Covid-19, nos services hospitaliers sont passés en phase 1A. Cette feuille de route implique la réservation d’un quart des lits des unités de soins intensifs aux patients Covid, mais aussi le report des soins non urgents. Or, « nos marges d’accueil s’amenuisent », explique, dans De Standaard, Marcel Van der Auwera, le chef du département Aide d’urgence du SPF Santé publique et de l’Hospital & Transport Surge Capacity Comittee (HTSC). « Pour le moment, dans les services de soins intensifs, il est estimé qu’environ 5% des lits sont perdus, c’est-à-dire indisponibles pour accueillir un patient ».

Depuis 2013, le Conseil de l’Europe tire la sonnette d’alarme et dénonce les conséquences catastrophiques des coupes budgétaires sur la santé

Ces lits sont à la fois indisponibles pour des raisons techniques, mais aussi à cause d’une pénurie de personnel dans les départements Covid-19 pour cause de burn-out. Les soignants sont nombreux à jeter l’éponge. Une situation que notre rédaction avait déjà relevé au début de cette année (Link vers : https://lpost.be/2021/04/18/capacite-daccueil-des-hopitaux-leurope-salarme-depuis-10-ans/).

Depuis 2013, le Conseil de l’Europe tire la sonnette d’alarme et dénonce les conséquences catastrophiques des coupes budgétaires sur la santé. Les effets délétères des politiques d’austérité sont dramatiques pour la santé des européens. Fermeture de structures hospitalières dans une logique de rentabilité, pénibilité professionnelle, absence de revalorisations salariales, la santé est celle de la loi du marché.

Une profession à bout de souffle

Depuis des années, les conditions de travail des soignants se sont graduellement dégradées. En termes de bien-être au travail, diverses études ont démontré que les médecins et le personnel infirmier sont davantage touchés par le phénomène du burn-out que d’autres secteurs. La charge professionnelle et émotionnelle de travail est source importante de stress.

L’accroissement des tâches à réaliser au cours des heures de travail, notamment administratives et qui ne relèvent pas directement du soin, s’est fait au prix d’une certaine déshumanisation du métier. Déjà en 2013, selon une étude du SPF Santé en collaboration avec le SPF Emploi (Link vers : https://emploi.belgique.be/fr/moduleDefault.aspx?id=36139), 40% des infirmières s’estiment à bout et 6,6 % souffrent de burnout. Concernant plus particulièrement le risque de basculement dans l’épuisement, 45 % des infirmières citent au moins l’un des symptômes. Dépersonnalisées dans leur mission première, un nombre croissant d’entre elles quitte la profession en cours de carrière.

Pour faire des économies d’échelle, on concentre les hôpitaux, on mutualise les professionnels et les services. C’est dangereux et cela épuise le personnel

La problématique est particulièrement aigue dans le contexte des soins intensifs et palliatifs. Horaires irréguliers, effectifs réduits, épuisement, rigueur budgétaire, pressions et manque de disponibilité de la hiérarchie, manque de temps pour les malades et insécurité tant des patients que pour le personnel font craindre le pire pour la suite. Un mal-être qui n’est pas sans conséquences sur la qualité des soins. Le risque d’erreurs médicamenteuses ou lors d’un acte technique est augmenté, corolaire d’une fatigue chronique. C’est ce que l’on appelle, de façon voilée, des « événements indésirables liés aux soins ».

Faire du chiffre

Sous le couvert de l’anonymat, les langues se délient. Qui pour parler d’un métier qui l’ « enchante » autant qu’il la « détruit », qui pour dénoncer les tensions récurrentes et le manque de considération. « Des journées sans avoir le temps de boire et de manger, sans aller aux toilettes, cela arrivait tout le temps. J’ai été corvéable à merci, j’ai travaillé 24h/24h, souvent plusieurs jours d’affilés et je me suis brûlée », témoigne Sandrine V., reconvertie dans la réflexologie plantaire à domicile, après avoir été infirmière pendant plus de 20 ans dans un service de réanimation.

« Les infirmières ont peu de poids dans l’échelle médicale. On nous rappelle souvent que l’on est simplement des exécutrices, rarement preneuses de décision, mais dans la pratique on nous en demande toujours plus. Dans ces conditions de dégradation, c’est usant à la longue, poursuit-elle. La déconsidération de notre travail m’a rendue amère. Je souffrais de mon métier. Lorsque l’on travaille à temps partiel, on peut prendre de la distance et se ressourcer, mais à temps plein, c’est mission impossible. Il fallait que je sauve ma peau. C’était une question de survie face à une institution qui est devenue une véritable usine. Il n’y a plus qu’une seule priorité : faire du chiffre. Je ne suis pas là pour faire du travail à la chaîne. Pour faire ce métier, au-delà des compétences, il faut avant tout avoir du cœur. Je suis donc partie ».

Inverser le modèle

Ce qui se vit en Belgique est le propre de plusieurs pays européens. La France est confrontée depuis cet été à la colère des soignants. « Il faut arrêter de culpabiliser les gens. La crise est structurelle et non sanitaire», alerte sur Twitter, le docteur Gérald Kierzek, médecin urgentiste français et chroniqueur médical.
« Pour faire des économies d’échelle, on concentre les hôpitaux, on mutualise les professionnels et les services. C’est dangereux et cela épuise le personnel. Aujourd’hui, on peut dire à une infirmière : lundi, tu es en psychiatrie, mardi tu seras en cancérologie, poursuit-il. Le lien humain, cela ne marche pas comme ça. Si c’est rentable à un an, cela ne l’est pas d’un point de vue économique à cinq ans. Il nous faut revoir urgemment l’organisation même des systèmes de soins de santé et revenir à un modèle de proximité et d’humanité. Ce n’est pas en marche que nous devons nous mettre, nous devons surtout faire marche arrière », conclut-il.