POLITIQUE

Samuel Cogolati : « Les Européens doivent boycotter les cérémonies officielles des JO d’hiver 2022 à Pékin »

Le député Ecolo Samuel Cogolati demande d'interdire l'importation en Europe de produits issus du travail forcé. BELGA

Le député fédéral Ecolo souhaite que les responsables politiques européens s’abstiennent de participer aux cérémonies officielles des Jeux Olympiques d’hiver 2022 à Pékin tant que la Chine poursuivra une politique de répression contre les Ouïghours. Samuel Cogolati déplore la faiblesse des réactions européennes contre la Chine. Nous l’avons rencontré à l’occasion de la date anniversaire de l’indépendance (12 novembre 2021) du premier Turkestan oriental ou plus communément appelé, la république de l’Ouïghourstan, proclamée en 1933 et officiellement disparue en 1934. Depuis 1955, cette région est devenue la région autonome ouïghoure du Xinjiang. La mairie de Paris s’est teintée en bleu en hommage à la communauté Ouighoure le 12 novembre.

E.C. Vous avez été, avec votre collègue Wouter de Vriendt, un des premiers hommes politiques belges à vous intéresser à la cause des Ouïghours en Chine. Expliquez-nous comment vous est venu cet intérêt et quand avez-vous compris l’urgence et la nécessité d’agir concrètement ?

La vérité, c’est que je n’étais absolument pas conscient de l’ampleur et de la gravité des crimes commis contre le peuple ouïghour avant d’être élu au Parlement en mai 2019. Mais le lendemain de mon élection, j’ai reçu un appel à l’aide concernant une famille composée d’une femme et ses 4 enfants, ouïghours, arrêtés devant l’ambassade de Belgique à Pékin alors que celle-ci tentait de rejoindre leur papa réfugié politique à Gand. C’est ainsi que de fil en aiguille, je me suis rendu compte des politiques ultra-répressives du régime communiste chinois contre les Ouïghours.

E.C. En mars 2021, vous déposez une proposition de résolution parlementaire afin de reconnaître le crime de génocide perpétré par le gouvernement de la République populaire de Chine contre les Ouïghours. Pouvez-vous nous expliquer le processus ayant abouti à cette proposition de résolution ?

Nous faisons toutes et tous partie de cette génération qui a grandi avec pour mot d’ordre : « plus jamais ça ! » après la Shoah. Non, nous ne savons pas ce que nous aurions fait à la place d’un Allemand en 40-45. En revanche, nous pouvons répondre à la question de savoir ce que nous faisons hic et nunc, face aux pires crimes contre l’humanité du 21e siècle :

– les meurtres, les actes de torture, les viols systématiques, les stérilisations forcées des femmes ouïghoures,

– la détention arbitraire de plus d’un million d’Ouïghours innocents en Chine,

– les séparations forcées d’enfants arrachés à leurs parents pour être rééduqués.

C’est pour répondre à ces crimes que nous avons initié cette résolution pour envoyer un signal très fort à Pékin. Les mots ont leur importance dans ce débat. Quand un génocide est en cours, il faut pouvoir appeler un chat un chat.

Le travail forcé des Ouïghours profite-t-il à des enseignes en Europe?

E.C. Le parlement belge a ratifié cette proposition en juillet 2021 malgré les pressions chinoises. Les pressions étaient-elles fortes ? En avez-vous subies personnellement vous ou votre parti politique ?

Le processus d’adoption du texte au Parlement ressemble à un parcours du combattant, avec des sanctions individuelles imposées par le régime communiste chinois, une cyberattaque qui a empêché la tenue de la première audition, l’opposition du PTB dans les débats, … je suis fier qu’au final, une très large majorité démocratique de notre Parlement ait choisi le camp de ceux qui résistent, plutôt que le totalitarisme ou, pire, des complicités implicites.

E.C. La résolution adoptée parle de risque sérieux de génocide, préférant être plus prudent que la reconnaissance de crime de génocide. Comprenez-vous cette prudence ? Est-ce une prudence légistique ou une prudence diplomatique ?

Non ! Il ne s’agit pas de prudence ou d’un pas en arrière, comme certains le pensent. La Convention onusienne de 1948 sur le génocide n’implique pas seulement une obligation de punir un crime de génocide déjà passé, mais aussi une obligation de « prévenir » un génocide en cours. Et la Cour internationale de Justice de La Haye a déterminé que cette obligation de prévention naissait à partir du moment où il existait un « risque sérieux ». Avec ces termes, nous indiquons donc clairement que le gouvernement doit prendre toutes les mesures contre le risque sérieux de génocide en cours contre le peuple ouïghour ! Et c’est une première.

Les sanctions de la Chine à mon encontre ne me font pas peur.

E.C. Quelles sont les conséquences concrètes d’une telle adoption ? A quoi peut servir une telle résolution dans l’immédiat ou à l’avenir ?

Si la résolution ne servait à rien, on n’en aurait tout simplement rien dit. Et la Chine l’aurait ignorée. Ici, non seulement nous reconnaissons les crimes contre l’humanité et un processus génocidaire, mais en plus nous avançons des mesures concrètes comme la fin de la Convention d’investissement UE-Chine signée en décembre 2020. Ben oui… vous ne pouvez pas d’un côté dénoncer les abus, et de l’autre, faire comme si de rien n’était et continuer le business as usual.

E.C. Vous avez été placé par le parti communiste chinois sur la liste des personnalités européennes visées par des sanctions. Quelle a été votre première réaction à ce moyen de pression ?

Honnêtement, ces sanctions ne me font pas peur. Elles ne sont rien en comparaison avec ce que doivent subir des millions d’Ouïghours innocents : camps de concentration, viols contre les femmes, séparations forcées d’enfants, esclavage moderne… C’est ça l’essentiel !

E.C. On le sait, votre collègue européen et français Raphael Glucksmann est lui aussi très actif dans ce domaine. Que pensez-vous des réactions de l’Europe ? Se sont-elles fait attendre ou ont-elles été à la hauteur de vos espérances ?

L’action de Raphaël est enthousiasmante car elle entraîne tous les jeunes dans un combat pour la dignité humaine. Je suis fier de porter ce combat avec Raphaël et des dizaines d’autres parlementaires, de tous partis politiques, pour rappeler ce principe de base : on n’enferme pas un enfant ou une femme en raison de sa religion musulmane ou de sa culture ouïghoure. Par contre, les réactions des exécutifs européens restent tièdes. J’attends toujours des mesures concrètes comme l’interdiction des importations des produits issus du travail forcé.

J’attends toujours des mesures concrètes comme l’interdiction des importations des produits issus du travail forcé.

E.C. On l’a vu, plusieurs fois, le terme de génocide a été utilisé. Celui-ci fait partie des crimes relevant de la Cour pénale internationale, fondée elle-même par le statut de Rome. Or, la Chine a refusé d’adhérer au statut de Rome. Espérez-vous voir un jour les responsables chinois répondre de leurs actes si ceux-ci venaient à être pleinement établis ?

Soyons clairs : un tel procès international serait très difficile, voire impossible aujourd’hui contre Xi Jinping : que ce soit en Chine, ou devant une juridiction internationale.

– Tout simplement parce que la Chine rejette la juridiction aussi bien de la Cour pénale internationale, que de la Cour internationale de Justice.

– Et au Conseil de Sécurité ? La Chine détient toujours un droit de véto.

– Et à Genève ? La Chine continue le chantage et vient encore tout récemment d’acheter le retrait de l’Ukraine d’une demande internationale d’investigations au Xijiang en échange de routes, points et nouveaux rails.

Devons-nous pour autant baisser les bras ? Justement pas ! L’inertie internationale nous oblige à agir.

Voilà pourquoi nous avons décidé de prendre nos responsabilités comme élus démocratiques dans un pays libre, car nous nous devons de porter la voix de ceux qui n’en ont pas !

E.C. Est-ce là encore une fois un aveu de l’impuissance du droit international face aux grandes puissances que sont la Chine, la Russie et les Etats-Unis ? La Chine étant également membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et disposant d’un droit de véto ?

Non, le droit international est là, il est clair, et la Chine a aussi ratifié la Convention génocide de 1948. Ce qui manque, c’est le courage politique et la volonté d’appliquer ces mêmes normes universelles, même quand l’oppresseur est un pays puissant comme la Chine.

Ce qui manque, c’est le courage politique et la volonté d’appliquer ces mêmes normes universelles, même quand l’oppresseur est un pays puissant comme la Chine.

E.C. Dès lors, les sanctions économiques sont-elles les seules possibles pour faire changer le comportement du gouvernement chinois ?

Je préfère les sanctions qui visent directement les responsables des graves abus et violations des droits humains. Mais ce n’est pas le seul moyen ! Nous pourrions aussi terminer la Convention d’extradition qui nous lie à la Chine pour protester contre l’absence de procès équitable dans ce pays. Et surtout, nous ne devons pas oublier que l’Europe est le 1er bloc commercial au monde et que nous pouvons imposer des conditions sociales et environnementales beaucoup plus sévères dans nos relations économiques avec le reste du monde.

E.C. Pouvez-vous nous dire s’il y aura de prochaines grandes actions ou prises de positions européennes ou belges ?

Oui… Ce sont bientôt les Jeux Olympiques d’hiver à Pékin en février 2022 (du 4 au 20 février, NDLR). Et autant je plaide pour le maintien de la compétition sportive pour les athlètes, autant je pense que les responsables politiques devraient oser dire haut et fort qu’on ne fait pas la fête quand un génocide est en cours contre les Ouïghours, et que donc ils s’abstiennent de participer aux cérémonies officielles en Chine tant que les crimes contre l’humanité ne cessent pas.

E.G. La communauté internationale vous semble-t-elle assez active face à ce crime possible de génocide ?

Les choses sont clairement en train de changer depuis quelques mois. On déplace les montagnes en commençant par les petites pierres, disait Confucius. La Belgique était la 6e assemblée démocratique au monde à se prononcer. Grâce à l’exceptionnelle mobilisation citoyenne (y compris sur les réseaux sociaux), nous pouvons entraîner d’autres pays à demander justice pour libérer les camps de la honte.

Entretien: Eugénie Cortus