SCANDALE POLITIQUE

Chantage à la sextape : le scandale qui secoue la mairie de Saint-Etienne en France

Le maire de Saint-Etienne Gaël Perdriau (debout) lors du conseil municipal à la mairie de Saint-Etienne, dle 26 septembre 2022. AFP

L’un évoque « une affaire abjecte qui ne pourra être réglée que par des peines de prison ». Un autre ne craint pas d’évoquer « un scandale national, un kompromat à la française ». Et un réalisateur inspiré tournerait un film que, paraphrasant celui de Steven Soderbergh (« Sexe, mensonges et vidéo », Palme d’or à Cannes en 1989), il pourrait titrer « Sexe, politique et vidéo(s) »… Il lui suffirait simplement de reprendre les éléments d’une affaire qui, depuis la fin de ce mois d’août, secoue Saint-Etienne, chef-lieu du département de la Loire, 13ème ville de France avec ses 173.821 habitants et célébrissime pour les Verts, son équipe de football qui disputa, en 1976 à Glasgow, la finale de la Coupe d’Europe des clubs champions (défaite 0-1 contre le Bayern Munich).

Aujourd’hui, Saint-Etienne, la capitale du Forez refait l’actualité, mais pour une toute autre histoire. Une affaire que certains acteurs tiennent seulement pour locale, alors que d’autres lui trouvent des résonances nationales. Ainsi, ce 26 septembre, autour de la mairie, pas moins de trois manifestations : une en début d’après-midi avec des manifestants interpellant des élus municipaux, leur faire passer un message et soutenir les oppositions, une autre en fin d’après-midi avec des manifestants très remontés avec des banderoles, des pétard, des cris et des slogans, puis une troisième appelée par une association LGBT+ pour dénoncer l’homophobie qui pollue l’affaire du moment.

Ambiance explosive au conseil municipal

Dans la salle Albert-Lebrun où se réunit le conseil municipal, avec un public nombreux, l’ambiance a été, tout l’après-midi, explosive, marquée notamment par des interruptions de séance, une remise en cause de la légitimité du maire (dont certains pensaient qu’il annoncerait sa sa démission) et même une sortie des élus socialistes. Capitale du Forez, Saint-Etienne a son affaire.

Comme dans un bon film, on a donc deux personnages principaux : le maire et son premier adjoint, de l’autre. Gaël Perdriau, 50 ans, maire de la ville depuis 2014 et membre de LR (Les Républicains) dont il a été vice-président, et Gilles Artigues, 57 ans, adjoint au maire depuis 2014 et membre de l’UDI, le parti de centre-droit.

Révélations de Mediapart

L’affaire a été révélée le 26 août dernier par le site mediapart.fr qui titrait « Sexe, chantage et vidéo : l’odieux complot » et commentait : « L’entourage du maire Les Républicains de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, a piégé son premier adjoint centriste, Gilles Artigues, ancien député, en le filmant à son insu avec un homme lors d’une soirée intime, à l’hiver 2014, à Paris. La vidéo est depuis utilisée pour le faire chanter… ».

Quelques jours plus tard, Gaël Perdriau se défendait, évoquant une affaire « stupéfiante », des accusations « ignobles » ou encore un dossier dont il ne connaîtrait pas « les tenants et les aboutissants ». Il ajoutait : « J’ai hâte que la vérité éclate dans cette affaire nauséabonde ». Et puis, on apprenait que Gilles Artigues avait songé au suicide et préparé une lettre à l’attention de sa famille et de ses proches pour expliquer son geste et une clé USB sur laquelle il avait copié la fameuse vidéo…

L’entourage du maire Les Républicains de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, a piégé son premier adjoint centriste, Gilles Artigues, ancien député, en le filmant à son insu avec un homme lors d’une soirée intime.

On apprenait aussi que toute cette histoire était un coup monté par le maire, un de ses adjoints et son directeur de cabinet. En avril dernier, Gaël Perdriau confiait à un proche : « Même s’il n’y est pour rien, Gilles Artigues est mort ». Un piège avait été tendu à Gilles Artigues, car il fallait, pour le maire et ses proches, contenir l’influence de cet élu dont l’implantation locale était crainte dans la majorité municipale en cas de dissidence et qui pourrait devenir un potentiel rival pour Gaël Perdriau. Donc, selon une bonne vieille et classique méthode chez les mafieux ou le modèle russe du « kompromat » (méthode du KGB toujours en vogue dans la Russie de Vladimir Poutine pour contrôler ou disqualifier des adversaires), il s’est retrouvé dans une chambre d’hôtel avec un escort boy…

Piège, pressions et chantage

Piégé, il a subi des pressions et du chantage du clan Perdriau pendant huit ans. Père de famille, catholique pratiquant impliqué dans la vie de la communauté religieuse locale et aux positions très conservatrices, il a vécu l’enfer pendant huit, raconte un proche. Il assure également avoir été « alcoolisé », « drogué » et ne pas être « dans une situation normale » le soir où les images ont été tournées.

Dans l’enquête judiciaire, des extraits des menaces ont filtré. Extraits : « Je pense que vos enfants ne s’en remettront pas » ; « J’ai une vidéo de vous le cul à l’air avec un mec. Le très catholique député Gilles Artigues, très bon père de famille, dans un truc comme ça ? Allez-y, allez vous expliquer aux électeurs » ou encore « Si vous faites ça [pour sa défense, Artigues avait fait part de son intention de saisir le procureur de la République], l’ensemble des parents des élèves qui sont dans la même classe que vos enfants recevront une copie du film. Et je pense que vos enfants ne s’en remettront pas ». Des propos tenus par Pierre Gauttieri, le directeur de cabinet du maire à qui Artigues répond : « Je n’ai rien fait d’illégal dans cette affaire. Une faute morale peut-être. Si je plonge, vous plongerez aussi »…

Démissions en cascade

Ces jours derniers, le premier adjoint Samy-Kefi Jérôme a démissionné, il est soupçonné d’avoir, avec son ex-compagnon, fomenté le piège dans les moindres détails. Le directeur de cabinet a été licencié et le maire a, lui, démissionné de sa fonction de président de la métropole de Saint-Etienne, il a été exclu par le parti LR, mais s’accroche à son écharpe tricolore de premier magistrat de la ville.

En fin du conseil municipal de ce 26 septembre, l’élue socialiste Isabelle Valentin a pris la parole : « Monsieur Perdriau, vous dites depuis le début que vous êtes présumé innocent. Mais vous n’êtes pas innocent des paroles que nous avons entendues dans les audios. Ou alors vous allez me dire que c’est une machine qui imite votre voix? J’en doute ». Et de poursuivre : « Comment prôner les valeurs de la République en acceptant les propos homophobes de ses collaborateurs ? Personne à Saint-Étienne ne peut avoir confiance en vous ». Dans la foulée, les élus socialistes et communistes ont déposé « un vœu au conseil municipal de Saint-Etienne pour demander à la Première Ministre, Elisabeth Borne, que le Conseil des Ministres suspende le maire Gaël Perdriau ».

Comment prôner les valeurs de la République en acceptant les propos homophobes de ses collaborateurs ?

Des méthodes de barbouze

Combien de temps ce dernier va-t-il pouvoir tenir à la tête de la cité stéphanoise ? D’autant qu’une autre affaire de vidéo est récemment sortie sur la place publique : lors de l’élection municipale de 2020, Ali Rafsi, candidat sur une liste d’opposition, a été filmé, à son insu, dans le bureau de vote où il était assesseur. Des proches de la mairie l’ont filmé avec leurs téléphones portables, et peu après, Gaël Perdriau et ses proches l’ont accusé d’avoir influencé des électeurs au sein même du bureau de vote, ce qui est formellement interdit. Il reçoit un SMS d’un chargé de mission au cabinet du maire : « Tu as été filmé en train d’influencer les électeurs, sache que nous ferons usage de la vidéo ».

L’opposant a rejeté fermement les accusations, expliquant qu’il est originaire du quartier, qu’il connait bon nombre des habitants et qu’ils ont ce jour-là simplement parlé de la pluie et du beau temps… Toutefois, il ajoute : « Ça révèle un système en vigueur depuis très longtemps. Nous sommes, nous, les élus d’opposition, soumis à une surveillance particulière où on ne peut pas faire un mouvement, un geste, sans cette peur d’être filmé en permanence ». Et à Saint-Etienne, nombreux sont celles et ceux qui évoquent des méthodes claniques et mafieuses, qui pointent le « système Perdriau ».

Enquête judiciaire ouverte

Un système de plus en plus mis à mal. Ainsi, une nouvelle affaire met en difficulté le maire de Saint-Etienne. Ainsi, il est accusé de favoritisme en étant soupçonné de ne pas avoir respecté la procédure d’appel d’offres pour choisir une entreprise chargée d’organiser des spectacles. Une entreprise dirigée par un couple de ses proches, preuve en est le soutien affiché de sa directrice Marie Zambardi lors des dernières municipales… Un temps, au stade Geoffroy-Guichard, les caméras filmaient les supporters qui chantaient : « Qui c’est les plus forts ? Evidemment, c’est les Verts ! » Aujourd’hui, les caméras ont été remplacées par les téléphones portables. Tout le monde filme tout le monde, confie un Stéphanois qui, comme tant d’autres habitants de la ville, est estomaqué par ces affaires sur fond d’homophobie, d’argent public et de rivalités locales.

C’est une affaire abjecte. Ce type de complot mafieux, pour une démocratie comme la nôtre, est insupportable et il doit y avoir des peines de prison.

Ces affaires qui ont une résonance nationale, à en croire la réaction de François Bayrou, président du Mouvement démocrate (MoDem) et Haut-commissaire au Plan : « C’est une affaire abjecte. Ce type de complot mafieux, pour une démocratie comme la nôtre, est insupportable et il doit y avoir des poursuites, et pour dire le fond de ce que je pense, des peines de prison », ou encore celle de Cécile Duflot, ancienne ministre et ex-numéro 1 d’EELV (Europe Ecologie-Les Verts) : « T’as beau avoir le cœur bien accroché et en avoir vu d’autres, ce qu’a fait le maire de Saint-Étienne est dingue… ». L’affaire est à présent entre les mains de la justice : le parquet de Lyon a ouvert une information judiciaire « des chefs d’atteinte à l’intimité de la vie privée, chantage aggravé, soustraction de bien public par une personne chargée d’une fonction publique, abus de confiance et recel de ces infractions »…

Serge Bressan (à Paris)