SANTE

Pandémies futures : l’Europe se prépare, mais à quels résultats ?

BELGA

Expérience tirée de la crise du Covid-19, des instances supranationales telles l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Agence européenne des médicaments (EMA) voient leurs pouvoirs renforcés afin de mieux maîtriser de futures pandémies. Après avoir piloté la stratégie anti-Covid-19 mondiale avec plus ou moins d’efficacité, cette chaîne décisionnelle semble vouloir poursuivre sa mutation vers un système de santé reposant sur plus de coordination et d’opérabilité, avec en renfort, un nouveau Règlement sanitaire international (RSI) et la création à l’Europe de l’HERA, la nouvelle Autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire. Quelle sera, en termes de soins de santé, la balance bénéfices/risques de cette stratégie ? C’est une équation à plusieurs inconnues.

La première initiative internationale en matière de santé remonte à 1851 avec la Conférence sanitaire internationale de Paris ciblant principalement le choléra. Suivront l’Office international d’hygiène publique institué en 1907 et le Comité d’hygiène créé par la Société des Nations, précurseur de l’ONU, en 1921. Le RSI est quant à lui adopté par les États membres de l’OMS en 1951.
Il vise alors à lutter contre le choléra, la peste, la fièvre jaune, la fièvre récurrente, la variole et le typhus dont les foyers sont encore nombreux à l’époque. Or, de nombreux d’observateurs estiment que la réponse des pays à l’épidémie de Covid-19 n’a globalement pas été conforme aux préconisations du Règlement sanitaire international (RSI). Une fois l’alerte donnée, non seulement l’Europe a perdu un temps précieux avant de prendre des mesures, mais celles-ci l’ont été en ordre dispersé sous la pression de services d’urgence hospitaliers saturés.
Pour y remédier, l’OMS envisage une « réforme urgente des systèmes de prévention et de réponse aux pandémies » qui sera débattue lors d’une session spéciale à la fin de ce mois de novembre. A l’Europe, des changements s’affichent également dans le paysage sanitaire.

EMA : des pouvoirs renforcés

Le 28 octobre, les négociateurs de la présidence du Conseil et du Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire sur un rôle renforcé de l’Agence européenne des médicaments (EMA) dans la préparation aux crises et la gestion de celles-ci en ce qui concerne les médicaments et les dispositifs médicaux. L’EMA se voit attribuer des pouvoirs renforcés pour surveiller et atténuer les effets des pénuries potentielles de médicaments et de dispositifs médicaux et assurer le développement en temps utile de médicaments de haute qualité, sûrs et efficaces en mettant particulièrement l’accent sur la réponse aux urgences de santé publique.

Ce projet d’actualisation du mandat de l’EMA s’inscrit dans le cadre plus large du paquet relatif à une « Union européenne de la santé » (https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/european-health-union_fr) qui prévoit également un mandat renforcé pour le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et comprend un projet de législation sur les menaces transfrontières pour la santé.

HERA : une nouvelle autorité sanitaire

Le 16 septembre 2021, le paquet relatif à une union de la santé a aussi été complété par la création d’une autorité de préparation et de réaction aux situations d’urgence sanitaire (HERA) (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_4672). Ses missions : prévenir, détecter et réagir rapidement aux situations d’urgence sanitaire. En cas d’urgence, l’HERA assurera la mise au point, la production et la distribution de médicaments, de vaccins et d’autres contre-mesures médicales, tels que des gants et des masques, qui ont souvent fait défaut lors de la première phase de la lutte contre la pandémie de coronavirus.
« L’HERA est un nouveau pilier d’une union de la santé plus forte et une avancée majeure pour notre préparation aux crises. Grâce à elle, nous pourrons être sûrs de disposer des équipements médicaux nécessaires pour protéger nos citoyens contre les futures menaces pour la santé », a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans un communiqué. Les activités de l’HERA démarreront début 2022.

Quelle balance bénéfices/risques ?

Ces outils sur le papier paraissent utiles pour une meilleure coordination. Mais au service de quelle vision de la santé et de la médecine seront-ils déployés ? Après bientôt deux ans de pandémie mondiale et à en juger sur base de ce qui s’est passé jusqu’à présent, ne faut-il pas craindre que ces nouveaux dispositifs juridiques destinés à affronter avec plus d’efficience d’éventuelles nouvelles pandémies n’entérinent la restriction à la liberté de se soigner telle qu’elle s’est manifestée sous de nombreuses formes depuis le début de 2020 ?

Il n’est inutile de rappeler, en effet, que les conventions internationales stipulent que toute personne a le droit de disposer de son corps, jusqu’à pouvoir décider de sa propre mort par l’euthanasie. La loi belge du 22 août 2002 relative aux droits du patient est également venue couronner le droit à l’autodétermination de chacun de disposer librement de son corps et, par voie de conséquence, de sa santé.

On ne saura jamais ce qu’il serait advenu de cette épidémie si l’OMS et les États avaient laissé la liberté aux médecins et aux hôpitaux d’ajuster leurs soins plutôt que d’imposer, d’en haut, des mesures coercitives, ce qui constitue un précédent historique inédit. La libre disposition de soi renvoie pourtant aux libertés fondamentales souvent mises à l’épreuve durant cette crise sanitaire. L’équation future est à plusieurs inconnues. Le monde vit à tout le moins un virage décisif en matière de maîtrise de la santé.